Pourriez-vous nous décrire les objectifs de votre projet ?
M.M. : « Tout d’abord, je tiens à souligner que ce projet a été réalisé en collaboration avec plusieurs autres équipes de recherches : tous les chercheurs ont travaillé ensemble pour un but commun1.
Dès le début de la pandémie, une question s’est posée : est-t-on protégé à long terme contre le Sars-CoV-2, le virus à l’origine de la Covid-19, à la suite d’une première infection ? Cela revient à savoir combien de temps l’organisme va garder cette infection en mémoire.
Nous nous sommes ainsi intéressés aux cellules chargées de cette mémoire, les « cellules lymphocytaires B ». Quand elles sont différenciées, elles sont capables de produire des anticorps, des molécules qui ciblent le pathogène pour le neutraliser.
Outre cet aspect, des cellules lymphocytaires B indifférenciées persistent dans l’organisme. Elles constituent une mémoire de l’infection passée. Elles ont d’une part la capacité de se réactiver lorsqu’elles rencontrent à nouveau un pathogène et de se différencier en cellules capables de sécréter des anticorps spécifiques, d’autre part la possibilité de maturer pour être plus efficaces lors d’une prochaine infection.
Nous avons ainsi souhaité étudier la persistance et la maturation de cette mémoire immunitaire des cellules B contre le Sars-CoV-2.
Comment avez-vous procédé pour étudier les propriétés de cette réponse immunitaire ?
M.M. : « Nous avons mis en place deux cohortes de patients atteints d’une forme modérée ou sévère de la Covid-19. Le suivi consistait en la réalisation de prélèvements sanguins à différents moments : au début de la maladie, plus précisément 2 à 6 semaines après le diagnostic, puis à 3 mois et enfin à 6 mois. »
Quels résultats avez-vous obtenu ?
M.M. : « Nous nous sommes donc intéressés aux cellules lymphocytaires B mémoire spécifiques du Sars-CoV-2. Ces cellules réagissent à une protéine du virus, la protéine Spike, qui est fondamentale pour l’infection : en effet, la protéine Spike interagit avec une molécule située à la surface de la cellule, et permet aux virus d’entrer dans cette cellule. Les cellules immunitaires B produisent des anticorps qui ciblent la protéine Spike.
Nous avons d’abord regardé leur évolution, et nous avons observé qu’une fois générées, elles se maintenaient au cours du temps. Leur nombre augmentait même pour certains patients. La mémoire immunitaire face au Sars-CoV-2 semble donc pérenne.
Ensuite, nous avons étudié les mécanismes moléculaires à l’origine de la mémoire immunitaire à long terme : la « maturation » de la mémoire immunitaire. A cette fin, nous nous sommes penchés sur les gènes qui permettent de fabriquer les anticorps, les gènes d’ « immunoglobulines ». Au cours du temps, il se produit un phénomène de mutation de ces gènes qui permet au système immunitaire de sélectionner les anticorps les plus performants face à un pathogène donné. Nous avons observé que ce phénomène avait lieu après l’infection. Le système immunitaire s’améliore donc pour faire face au Sars-CoV-2.
Ainsi, nous avons pu montrer que la mémoire immunitaire contre le Sars-CoV-2 perdurait dans le temps, au moins 6 mois, et maturait : c’est une bonne nouvelle, tant pour l’immunité collective que pour les stratégies vaccinales. »
Pensez-vous que cette immunité perdure au-delà de 6 mois ?
M.M. : « Les données obtenues par notre équipe se sont arrêtées à 6 mois, mais nous poursuivons nos analyses sur 1 an. Plusieurs équipes ont regardé jusqu’à 8 mois sur des effectifs faibles de patients, et ont observé que la mémoire immunitaire persiste. La question est de savoir si cela ira au-delà d’un an… Pour le moment, on ne le sait pas, il faut être prudent. »
Vos travaux donnent-ils des éléments sur la protection développée contre de futurs variants ?
M.M. : « Des éléments de réponse découlent de notre étude, sans démonstration directe. Les cellules mémoire possèdent une diversité liée à leur maturation. Lorsque l’on s’intéresse à l’immunité face aux variants, on ne regarde que les anticorps produits contre les pathogènes, pas à cette « dynamique » du système immunitaire. Et, si on a une vision un peu évolutionniste, on peut se dire que les cellules mémoires permettent de s’adapter à la variation des virus.
Cela laisse penser que cette mémoire immunitaire des cellules B peut nous aider à lutter contre les futures évolutions du Sars-CoV-2. »
Pour aller plus loin : Aurélien Sokal and Pascal Chappert et al. Maturation and persistence of the anti-SARS-CoV-2 memory B cell response. Cell 2021. DOI:https://doi.org/10.1016/j.cell.2021.01.050.