Mis à jour le 22 novembre 2023

Réparer la moelle épinière après une lésion

Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu dans le laboratoire Neurosciences Paris Seine, découvrir le projet coordonné par Fatiha Nothias, soutenue par la FRM dans le cadre de notre axe prioritaire "Médecine réparatrice".

Le projet de recherche qu'elle coordonne vise à réparer la moelle épinière après une lésion traumatique accidentelle afin de récupérer la locomotion.

Pour tout savoir de cette rencontre (ré)écoutez la chronique de Thierry Lhermitte diffusée le 20 novembre 2023 dans « Grand Bien Vous Fasse » sur France Inter :

Ali Rebeihi : Thierry, vous vous êtes rendu à l’Institut Neuroscience Paris Seine pour rencontrer l’équipe « Régénération et croissance axonale », dirigée par Fatiha Nothias-Chahir et rattachée à Sorbonne Université. Cette chercheuse poursuit des recherches depuis plus de 20 ans sur la réparation de la moelle épinière après une lésion, et le projet dont vous allez nous parler est soutenu pour 3 ans par la Fondation pour la Recherche Médicale, dans le cadre de son axe prioritaire sur la médecine réparatrice. 

Thierry Lhermitte : Oui, c’est un projet ambitieux, qui associe en fait trois équipes aux compétences complémentaires, on va voir pourquoi. Un petit rappel d’abord pour que tout soit clair : la moelle épinière fait partie du système nerveux central, avec le cerveau. Elle est composée de millions de neurones qui forment les fibres nerveuses et qui transmettent les informations entre le cerveau et le reste du corps.  La moelle épinière est normalement protégée au centre de la colonne vertébrale, mais elle peut être endommagée. Et ça concerne tout le monde, à tout âge. 

Ali Rebeihi : Comment peuvent arriver ces lésions ? 

Thierry Lhermitte : À l’origine, ça peut être un choc lors d’un accident de la route, de sport, d’une chute, ou une blessure par arme. La moelle est alors soit fortement comprimée, soit sectionnée partiellement.  En France, c’est 1 500 nouveaux cas par an, et avec le vieillissement de la population, les chutes chez les personnes âgées, souvent atteintes d’ostéoporose, sont de plus en plus souvent en cause dans ces traumatismes.  Ce sont des affections qui ont un coût socio-économique très important, puisqu’elles ont une répercussion sur le quotidien de la personne durant toute la vie. 

Ali Rebeihi : Quelles sont les conséquences des lésions de la moelle épinière ? 


Thierry Lhermitte : Ça dépend du niveau de la lésion et de sa sévérité, mais souvent c’est la perte de la sensation et de la motricité : 

  • si la lésion se produit au niveau cervical, le résultat est la tétraplégie, la paralysie de tous les membres et la perte de la sensation ;  
  • si elle est au niveau thoracique alors c’est notamment la paraplégie, la paralysie des membres inférieurs ;  
  • quant à la sévérité, il peut y avoir une lésion dite complète, avec perte totale des fonctions, ou il peut y avoir une lésion partielle, pour laquelle, grâce à la plasticité du système nerveux, on peut avoir une certaine récupération à long terme grâce à la rééducation.

Et c’est justement cette plasticité dont veut tirer profit l’équipe de Fatiha Nothias pour tenter de régénérer les fibres nerveuses qui ont été sectionnées et permettre de récupérer la motricité et les fonctions perdues. 

Ali Rebeihi : C’est quoi cette plasticité du système nerveux ? 

Thierry Lhermitte : C’est la propriété des cellules nerveuses à repousser et à recréer naturellement des connexions. Cette capacité de régénération n’est malheureusement pas suffisante en général pour que la lésion se répare d’elle-même.  
Au cours des années, l’équipe de Fatiha Nothias a montré ce qui se passait quand il y a une lésion de la moelle : 

  • qui dit lésion, dit atteinte de la barrière qui sépare le système nerveux central de reste du corps.Et donc l’irruption dans la brèche de molécules toxiques pour les neurones, les cellules nerveuses ;  
  • ensuite, comme pour toute blessure, il y a une réaction inflammatoire, qui permet de nettoyer la lésion, puis dans un deuxième temps, de stimuler la réparation ; 
  • en parallèle, il y a des cellules (appelées astrocytes) qui tentent de protéger les cellules nerveuses de tous les toxines qui affluent. Ces astrocytes forment une sorte de barrière physique et chimique autour de la lésion. Le problème, c’est que cette barrière empêche la repousse des fibres nerveuses ; 
  • et en plus, au lieu de s’arrêter, l’inflammation se poursuit. Finalement, de part en part, les neurones voisins finissent par mourir et cette nécrose forme une cavité. 

Ali Rebeihi : Et j’imagine que quand on a un trou comme ça, le signal nerveux est interrompu ? 

Thierry
Lhermitte :
 Exactement ! Et on arrive là au projet de Fatiha Nothias. L’idée qu’elle a eue, c’est d’utiliser l’ingénierie tissulaire pour reboucher cette cavité et permettre aux neurones restants de faire repousser leurs fibres pour éventuellement refaire des connexions. L’invention de son équipe, qui est brevetée, c’est un biomatériau qu’on peut injecter directement dans la lésion. Il est composé de chitosane, un dérivé de la chitine. La chitine, c’est ce qui constitue la carapace des crustacés et le squelette des insectes.  Et l’avantage, c’est que le chitosane est un sucre complexe totalement biocompatible, c’est-à-dire totalement neutre pour l’organisme. On l’utilise même en cosmétique pour combler les rides. L’équipe l’emploie polymérisé, puis ce gel est fragmenté en très petites particules et injecté directement dans la lésion.  

Ali Rebeihi : Et ça marche ? les fibres des neurones repoussent ? 

Thierry
Lhermitte
 : 
C’est génial !  J’ai vu les images de microscopie, on voit les astrocytes qui, au lieu de former une ceinture qui étouffe la réparation, accompagnent la repousse des fibres nerveuses vers le centre de la lésion.  Le résultat, c’est qu’il n’y a plus cette cavité qui se forme à cause de la nécrose des cellules nerveuses. Le biomatériau favorise leur survie. Et en plus, les chercheurs ont montré que la couche protectrice (la myéline) autour des fibres nerveuses se récrée et que le tissu nerveux se revascularise aussi, ce qui est important pour retrouver ses fonctions. 

Ali Rebeihi : Et maintenant quelle est la suite ? 

Thierry Lhermitte : C’est à ce moment-là qu’entrent en scène les deux autres équipes avec lesquelles Fatiha Nothias s’est associée pour ce projet. Il s’agit de la Professeure Rachel Sherrard, qui dirige une équipe sur la réparation des réseaux de neurones à l’Institut Paris Seine, et du Professeur Nicolas Guérout, qui lui mène des recherches sur les neurones moteurs à l’Institut des neurosciences SPPIN à Paris. Tous deux sont des spécialistes de la stimulation magnétique des neurones. Car le grand projet de ce consortium, c’est d’essayer d’améliorer la réparation des lésions de la moelle épinière en combinant l’injection du biomatériau de chitosane et la stimulation magnétique. 

Ali Rebeihi : Mais pourquoi la stimulation magnétique ? 

Thierry Lhermitte : Car le Pr Guérout a montré qu’une stimulation magnétique externe (donc non invasive) augmentait le recrutement des cellules souches qui sont dans la moelle épinière et qui vont donner de nouvelles cellules nerveuses. Ici, l’originalité du projet, c’est de faire une double stimulation : au niveau de la lésion de la moelle épinière, pour calmer l’inflammation et activer la colonisation de nouveaux neurones dans la lésion grâce au biomatériau, et ensuite stimuler les zones motrices du cerveau pour essayer de reconstituer le circuit moteur.  

Ali Rebeihi : Donc avec cette approche les chercheurs espèrent à terme réussir à réparer les lésions de la moelle épinière et éviter la paralysie? 

Thierry Lhermitte : C’est leur objectif ! Mais avant il y a énormément de questions à explorer : quels doivent être les paramètres de la stimulation magnétique, à quel moment intervenir précisément, est-ce que des lésions anciennes pourront être traitées avec succès, etc. ?  Et Fatiha Nothias est cofondatrice d’une start-up, qui s’appelle Medjeduse, pour valoriser l’invention du biomatériau et préparer le passage à la clinique.  Beaucoup d’espoirs donc ! 

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