A l’approche de la Journée mondiale de lutte contre la maladie d'Alzheimer, le 21 septembre 2021, le parrain de la FRM, Thierry Lhermitte, s'est rendu à l’Institut François Jacob du CEA de Fontenay-aux-Roses (92), pour visiter le laboratoire du professeur Ronald Melki. Il est directeur de recherche au CNRS et, avec son équipe, étudie les anomalies de certaines protéines dans les maladies neurodégénératives, et en particulier dans la maladie d’Alzheimer.
Cette visite a fait l'objet de sa chronique mensuelle dans Grand bien vous fasse, diffusée le lundi 20 septembre sur France Inter.
A (ré)écouter par ici.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est cette maladie ?
Thierry Lhermitte : C’est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire dans laquelle les neurones (les cellules nerveuses) disparaissent progressivement. Pendant de longues années les dégâts sont invisibles car le cerveau compense, mais au bout de 10, voire 15 ans, les symptômes apparaissent, le plus souvent par des pertes de mémoire. Dans 9 cas sur 10 la maladie d’Alzheimer est associée au vieillissement. D’autres formes, génétiques, se déclarent avant 65 ans, mais c’est rare. Cette maladie est de plus en plus fréquente du fait du vieillissement de la population. Elle concerne en effet 1% des plus de 65 ans et environ 7% des gens après 85 ans. Ça en fait la démence la plus fréquente au monde. En France elle touche presque 1 million de personnes !
Attention, une démence ce n’est pas être fou. Cela veut dire, médicalement, qu’on perd ses capacités cognitives : mémoriser, lire, planifier, etc. La première région touchée est le centre de la mémoire, puis progressivement les autres fonctions cognitives. L’évolution est différente selon les patients mais conduit irrémédiablement à la perte d’autonomie car on n’a aujourd’hui aucun traitement.
À quoi est due cette maladie ?
TL : On ne le sait pas vraiment et les scientifiques avancent différentes hypothèses, même si les connaissances ont énormément progressé au cours des dernières années, grâce à des technologies toujours plus performantes. On sait en tout cas qu’il s’agit d’une maladie multifactorielle, qui met en jeu à la fois un fond génétique et des facteurs de l’environnement comme le niveau d’études, la pratique d’une activité physique ou encore la pollution de l’air.
Et que se passe-t-il dans le cerveau ?
TL : On observe deux types de lésions :
Et c’est cette protéine, Tau, qu’étudie justement Ronald Melki ?
TL : Absolument. Et elle est fascinante, vous allez voir ! Tau est une protéine qui passe son temps à changer de forme. Certaines de ces formes ont la propriété de « se coller » et forment ces fameuses fibres, qui sont toxiques pour les neurones. Mais comme la nature est bien faite, il existe des protéines (appelées chaperons moléculaires) dans la cellule qui les capturent pour les conduire à des structures spécialisées (les protéasomes) qui les détruisent et recyclent leurs composants.
D’où vient le problème si ces fibres sont détruites au fur et à mesure ?
TL : En fait, avec le vieillissement, ce système de destruction perd de son efficacité. Donc à force, les agrégats de protéine Tau grossissent, s’accumulent dans les neurones et les perturbent en les déconnectant les uns des autres. C’est ce qui les fait mourir car les neurones fonctionnent uniquement en réseaux. Mais il y a pire : l’équipe de Ronald Melki a montré qu’en mourant les neurones libèrent les fibres toxiques qu’elles contenaient ; puis qu’elles se fixent à la surface de neurones sains, y pénètrent et se multiplient dedans en recrutant les protéines Tau saines, avant de faire mourir ces neurones à leur tour. En se propageant ainsi de neurone en neurone, les fibres Tau finissent par envahir le cerveau et altérer toutes les fonctions cognitives.
Mais dans ce cas nous devrions tous avoir la maladie d’Alzheimer en vieillissant, ce qui n’est pas le cas, heureusement !
TL : En effet, car nous ne sommes pas tous égaux ! Certaines personnes, du fait de leurs gènes, ont un système de destruction plus efficace qui permet de limiter la formation des fibres Tau.
Alors quel est le projet de Ronald Melki pour contrer l’accumulation anormale de la protéine Tau ?
TL : Il y avait au moins deux options :
Comment peut-on piéger les fibres Tau ?
TL : L’idée d’abord, c’est d’identifier les protéines à la surface des neurones qui servent de récepteurs aux fibres et qui leur permettent d’entrer dans les cellules. Pour ça, les chercheurs fabriquent au laboratoire des agrégats de la protéine Tau et ils les mettent sur des neurones en culture. Ils observent ensuite ce qui se passe grâce à des techniques de microscopie dynamique et des manipulations très sophistiquées. Ils peuvent observer et manipuler à l’échelle des molécules elles-mêmes !
Et une fois les récepteurs identifiés ?
TL : Ronald Melki veut comprendre intimement comment se font les contacts entre les fibres et leurs récepteurs et faire en quelque sorte un relevé topographique des régions des fibres qui interagissent avec les récepteurs. C’est particulièrement complexe, car il faut imaginer que les surfaces des fibres sont dynamiques et qu’il n’y a malheureusement pas un seul récepteur. Grâce à ces avancées, Ronald Melki veut ensuite fabriquer des petites protéines capables de se fixer aux fibres Tau de la même manière que leurs récepteurs.
Pour piéger les fibres, du coup ?
TL : Oui, et il imagine deux applications :
Il espère ainsi pouvoir retarder l’apparition des symptômes en gagnant quelques années sur la maladie. Ce qui signifie quelques années d’autonomie gagnées !