Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu à l’Institut Imagine, à Paris, pour y rencontrer l’équipe de Laurent Abel, directeur de recherche à l’Inserm et lauréat 2022 du Grand Prix de la FRM pour ses travaux.
Il mène notamment ses recherches sur la prédisposition génétique aux maladies infectieuses.
Cette rencontre a fait l'objet de la chronique mensuelle de Thierry Lhermitte dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, diffusée le 30 janvier 2023 sur France Inter, à (ré)écouter par ici :
Pour cette première visite de l’année aux chercheurs soutenus par la Fondation pour la Recherche Médicale, Thierry Lhermitte est allé à la rencontre de Laurent Abel, directeur de Laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses et Professeur à l’Université Rockefeller, à New York, où il a créé avec son collègue Jean-Laurent Casanova un laboratoire jumeau de celui de Paris.
Sur quoi travaille exactement Laurent Abel ?
Thierry Lhermitte : Depuis les années 2000, il essaie de comprendre les vulnérabilités génétiques aux maladies infectieuses. C’est-à-dire qu’il cherche à expliquer pourquoi, du fait de nos gènes, nous réagissons différemment face aux microbes. C’est un phénomène que la Covid-19 a bien mis en lumière : certains peuvent être gravement touchés tandis que d’autres ne développent que très peu de symptômes. Et ce n’est pas qu’une question d’âge et de vieillissement du système immunitaire, puisque des jeunes peuvent être sévèrement atteints.
Déjà Pasteur, en 1865, avait soupçonné que dans certaines maladies infectieuses, il pouvait y avoir une transmission des parents aux enfants d’une prédisposition à la maladie.
Cette théorie de l’importance du terrain génétique face aux agents infectieux est donc ancienne ?
TL : Oui, mais elle était plutôt tombée dans l’oubli, car avec l’apparition des principes d’hygiène, des antibiotiques et de la vaccination, on a réussi à contenir relativement les maladies infectieuses. Précurseurs, Laurent Abel et son collègue Jean-Laurent Casanova, ont décidé d’installer leur laboratoire pour étudier cette piste avec les outils modernes de la biologie moléculaire et de la bio-informatique. C’était en 2000, à l’hôpital Necker.
Quelles maladies Laurent Abel étudie-t-il ?
TL : De très nombreuses maladies infectieuses ! Au début, il a beaucoup étudié la lèpre (elle sévit encore en Afrique), puis aussi les hépatites virales, l’herpès (qui dans certains cas provoque des encéphalites graves), la tuberculose ou la Covid-19. Lors de ma visite il m’a parlé de ses travaux sur ces deux dernières maladies.
La tuberculose, n'avait-elle pas quasiment disparu ?
TL : Chez nous oui, mais c’est la maladie infectieuse qui tue le plus au monde, avec 1,5 million de morts chaque année ! Et au cours des deux derniers siècles, elle a tué bien plus que toutes les autres maladies infectieuses (paludisme, sida et choléra inclus).
De plus, les souches du bacille de la tuberculose (qui est la bactérie en cause) deviennent de plus en plus résistantes aux traitements antibiotiques. C’est donc un vrai problème de santé publique.
Il y a bien un vaccin, le fameux BCG, avec lequel nous sommes tous vaccinés en France. Mais il n’a qu’une efficacité partielle. Il est quand même bénéfique, puisqu’il protège les enfants contre les formes les plus graves (qui touchent de nombreux organes et pas les poumons).
Pourquoi s’intéresser à la génétique humaine dans cette maladie ?
TL : Vous allez comprendre : aujourd’hui, un quart de la population mondiale est exposée au bacille de la tuberculose, mais en fait seulement 10 % des gens infectés développent la maladie.
Et pour les 90 % des gens qui ne sont pas malades alors, que se passe-t-il ?
TL : Le bacille reste dans l’organisme, mais il est contrôlé par le système immunitaire. Laurent Abel a donc cherché à comprendre ce qui se passait chez les personnes qui n’arrivent pas à contrôler le bacille et développent la tuberculose. Des études anciennes sur des vrais jumeaux et leur famille indiquaient que le bagage génétique était impliqué dans la vulnérabilité ou la résistance à la tuberculose. Laurent Abel a choisi d’étudier un syndrome rare, qui touche un enfant sur 100 000 et qui s’appelle le syndrome de prédisposition mendélienne aux infections mycobactériennes (le MSMD). Ce sont des personnes qui sont anormalement susceptibles à des bactéries peu virulentes. Par exemple des enfants qui développent une infection grave au BCG après la vaccination BCG.
Qu’a alors découvert l’équipe de Laurent Abel a découvert ?
TL : Énormément de choses... Un travail de 30 ans difficile à résumer en quelques mots ! En fait, il s’avère que ces personnes ont différentes variations dans des gènes qui codent pour des protéines du système immunitaire. Résultat : cela aboutit à un défaut dans la production d’interféron-gamma. Or l’interféron-gamma est une molécule centrale dans la réponse immunitaire. Sans lui, pas de lutte contre l’agent infectieux.
C’était la première fois qu’on découvrait une « tuberculose génétique ». Laurent Abel avait eu raison de chercher dans cette direction : certaines infections sont bien liées au terrain génétique de la personne infectée. Sachant cela, on peut traiter l’infection en administrant de l’interféron-gamma.
Mais il y a plus étonnant encore : certaines de ces variations génétiques ont au contraire un effet protecteur contre les maladies inflammatoires ou auto-immunes fréquentes, comme la polyarthrite rhumatoïde ou la maladie de Crohn.
Et pour la Covid-19, c’est la même chose ?
TL : Avec la pandémie, le grand public a découvert qu’on n’était pas tous égaux devant ce virus. Certaines personnes développent une pneumonie sévère parfois mortelle. Heureusement, ces cas représentent moins de 3 % de la population infectée.
Les facteurs de risque, on les connaît tous :
En revanche, restent des disparités très importantes dans chaque tranche d’âge, et qui étaient inexpliquées.
Jusqu’aux découvertes de Laurent Abel ?
TL : Exactement ! il faut préciser que ce sont les travaux d’un consortium international, ce qui a permis d’aboutir très vite à des résultats, dès 2020. Les premiers résultats ont là aussi montré un défaut de production de certains interférons (pas le même que pour la tuberculose, il y en a plusieurs types). En tout cas certains patients sévèrement atteints par la Covid-19 ont des variations génétiques qui empêchent leur système immunitaire d’éliminer le virus.
Un autre type d’anomalie a aussi été retrouvé dans d’autres malades sévères : la présence d’auto-anticorps dirigés contre certains interférons. Pour simplifier, le patient fabrique des anticorps qui s’attaquent à son propre système immunitaire et l’empêchent de se défendre contre le virus.
Au total, ces auto-anticorps ont été retrouvés chez environ 20 % des personnes décédées de la Covid-19. Et la proportion augmente après 65 ans.
L’équipe de Laurent Abel recherche aujourd’hui pourquoi ces personnes développent des auto-anticorps, par exemple si c’est lié à une accumulation de mutations qui se produit avec le vieillissement.
Comment ces résultats vont-ils changer la prise en charge de la Covid-19 ?
TL : Les facteurs génétiques et les auto-anticorps qui ont été découverts sont responsables d’environ un quart des formes sévères. Les personnes concernées devraient bénéficier en priorité de la vaccination.
Concrètement, Laurent Abel participe actuellement au développement d’un test pour rechercher dans la population ces personnes à risque, notamment pour rechercher ces auto-anticorps.
Par ailleurs, ces résultats peuvent aussi conduire à proposer des stratégies thérapeutiques précoces pour stimuler leurs défenses immunitaires.
En conclusion :