Thierry Lhermitte, vous vous êtes rendu à l’hôpital Foch, à Suresnes dans les Hauts-de-Seine, pour y rencontrer l’équipe du Pr Jean-Marc Ayoubi. Il est gynécologue-obstétricien et ses travaux de recherche ont été soutenus par la Fondation pour la Recherche Médicale. Lors de cette visite vous avez aussi rencontré des parents heureux, Déborah et Pierre, avec leur petite fille de 14 mois, Misha. La star du service ! Une rencontre très émouvante ! Car Misha est le premier bébé né en France grâce à une greffe d’utérus chez Déborah, sa maman.
La première naissance après greffe d’utérus dans le monde a été obtenue en 2014 par une équipe suédoise. Une équipe avec laquelle le Pr Ayoubi collabore d’ailleurs depuis 2009. Le Pr Ayoubi travaille depuis 15 ans sur la greffe d’utérus avec son équipe. La naissance de Misha, en février 2021, a été l’aboutissement de toutes ces années de recherche. On en a beaucoup parlé dans les médias du monde entier !
Pourquoi une greffe d’utérus était-elle nécessaire ?
Parce que Déborah a un syndrome rare, appelé syndrome MRKH (pour Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser), qui conduit à l’absence d’utérus. Tout le reste est présent et fonctionne, ovaires, cycle hormonal, etc. Mais en l’absence d’utérus toute grossesse est bien sûr impossible.
Quelle est la fréquence de ce syndrome dans la population ?
Il touche 1 femme sur 4 500. On n’en connaît pas l’origine et on ne sait pas comment cela se transmet, c’est sûrement multifactoriel. Misha n’est pas atteinte d’ailleurs. En général on ne s’en rend compte qu’à la puberté du fait de l’absence de règles.
Mais hormis ce syndrome, bien d’autres femmes jeunes pourraient aussi bénéficier de la greffe d’utérus : celles qui ont subi une ablation pour un cancer gynécologique à un âge jeune ou suite à une hémorragie de la délivrance, après l’accouchement.
Quelle est la particularité de la greffe d’utérus, pourquoi a-t-il fallu tout ce temps pour une telle réussite ?
L’utérus n’est pas un organe vital (au contraire du foie, des poumons ou du cœur) et le Pr Ayoubi a choisi de prélever l’utérus sur une donneuse vivante. C’était donc une innovation, avec une procédure d’autorisations multiples pour tendre vers le risque zéro. Entre les premières demandes d’autorisation et la naissance de Misha en 2021, il s’est passé une dizaine d’années.
Mais pendant ce temps l’équipe n’a pas chômé ! Les chirurgiens ont développé une intervention chirurgicale robotisée. Ils ont aussi initié un projet expérimental sur l’animal où ils ont réalisés plus d’une cinquantaine de transplantation chez la brebis. Pourquoi la brebis ? Parce qu’anatomiquement son utérus est très semblable à celui de la femme, y compris le diamètre très petit des vaisseaux sanguins à « raccorder ».
Pendant ce temps, il a aussi fallu sélectionner les patientes éligibles pour cette greffe, avec des critères très stricts (comme avoir fumé moins de 6 mois dans sa vie pour la receveuse comme pour la donneuse, la vérification d’infections, etc.)
Pour sélectionner 10 couples, le Pr Ayoubi a vu en consultation quelque 1 000 personnes au total (avec les proches) !
Comment se déroule une telle greffe ?
Première étape : il y a un entretien préalable d’information avec le couple receveur et la donneuse. Ensuite tous ont un délai de 3 mois de réflexion.
Deuxième étape : le couple « receveur » fait une fécondation in vitro. Car avant de faire la greffe (avec les risques associés), il faut être sûr d’avoir des embryons implantables. Les embryons obtenus sont congelés au 5e jour.
Troisième étape : les interventions chirurgicales, qui ont lieu le même jour : le prélèvement de l’utérus de la donneuse dans un bloc opératoire, puis dans le bloc opératoire voisin, la transplantation sur la receveuse.
C’est l’avantage d’avoir une donneuse vivante, tout peut être programmé à l’avance. Car il y a un tas d’examens préalables : compatibilité sanguine, vérification que l’utérus soit sain, etc.
Pour la compatibilité, c’est plus facile avec une donneuse apparentée (mère, sœur), mais ça peut aussi être la belle-mère par exemple. Pour Déborah c’était sa mère.
Et l’intervention a duré combien de temps ?
18 heures ! Les deux interventions ont été programmées un dimanche à l’hôpital Foch pour avoir la logistique nécessaire.
Le prélèvement de l’utérus de la donneuse a commencé à 7 heures du matin et à 1h du matin, le lendemain, l’équipe avait rétabli la circulation sanguine de l’utérus transplanté. Premier succès !
Le deuxième succès, ça a été de découvrir, dès le 7e jour après la transplantation, que naturellement, sous l’action des hormones de la patiente, l’endomètre se reconstituait. L’endomètre, qui tapisse l’utérus, est le lit qui, chaque mois, se prépare à accueillir l’embryon potentiel. Il n’existe plus chez la femme ménopausée, donc c’était la preuve que l’utérus greffé, qui était ménopausé, se mettait à fonctionner à nouveau !
Après il a fallu attendre combien de temps pour implanter les embryons ?
Comme avec toute greffe d’organe, la patiente est mise sous immunosuppresseurs, des médicaments qui suppriment la réaction immunitaire contre le greffon étranger. Il faut attendre 1 an pour s’assurer qu’il n’y ait pas de rejet.
Le transfert d’embryon a été légèrement retardé du fait du premier confinement, mais il a réussi immédiatement ! La grossesse s’est parfaitement déroulée et Misha est née par césarienne en février 2021.
Une magnifique réussite !
Oui, il faut saluer cette équipe, investie bénévolement dans ces recherches. Et aussi le soutien de l’hôpital Foch, qui est un centre expert pour la transplantation d’organes et est le premier centre de PMA en France.
Pour conclure sur ce volet, je précise que l’objectif est d’exposer la patiente le moins longtemps possible aux immunosuppresseurs, car ce traitement est assez toxique, pour les reins notamment.
L’équipe et le couple se donnent donc 5 ans, le temps éventuellement d’une seconde grossesse, avant de retirer l’utérus transplanté.
Quelle a été la partie financée par la Fondation pour la Recherche Médicale ?
Il s’agit des recherches précliniques chez la brebis menées par Marie Carbonnel, jeune gynécologue-obstétricienne qui a rejoint l’équipe du Professeur Ayoubi il y a 10 ans.
Ces travaux cherchent à améliorer la conservation du greffon et à limiter les phénomènes de rejet. Pour cela, elle compare le liquide classiquement utilisé pour conserver les greffons en attente de transplantation avec un liquide additionné d’une nouvelle molécule. Il s’agit d’hémoglobine provenant d’un ver marin, qui est compatible avec tous les groupes sanguins et, surtout, qui a la propriété de transporter 40 fois plus d’oxygène que notre hémoglobine ! Il a déjà été prouvé que cette molécule améliore la récupération de la fonction du greffon pour le rein.
Marie Carbonnel étudie donc en modèle animal toutes les protéines produites par l’utérus transplanté, soit avec le protocole classique, soit avec cette nouvelle solution. Ses travaux visent à comprendre au niveau moléculaire ce qu’il se passe après la greffe.
Elle espère ainsi améliorer le protocole de greffe d’utérus, mais aussi la greffe d’autres organes.