Dans quel cadre ces deux projets sur le Covid Long sont-ils financés ?
Ils ont été sélectionnés lors d’un appel à projets lancé à la fin 2021 par les pouvoirs publics. La Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) a été associée à cette démarche. Ces deux projets font partie des quatre qu’elle a choisis de financer sur ce thème du Covid long. Il s’agit de la première vague de financement sur ce thème, menée conjointement avec l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, en lien avec le ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, le ministère des Solidarités et de la Santé. Un second appel à projets national est en cours, auquel la FRM est également associée. Elle apportera donc son soutien à de nouveaux projets dès le printemps. Ces projets porteront probablement sur l’étude d’autres symptômes que les symptômes neuropsychiatriques dont je vais vous parler, car la FRM est consciente que les patients peuvent avoir des atteintes très variées et ont besoin de l’aide des chercheurs.
Qui avez-vous donc rencontré ?
Deux chercheurs qui, depuis deux ans, se consacrent au SARS-Cov-2 et à la Covid et collaborent régulièrement ensemble : un jeune chercheur postdoctorant, Guilherme Dias De Melo, qui est vétérinaire de formation et travaille dans le laboratoire d’Hervé Bourhy. Ce laboratoire, qui s’appelle « Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie », étudie les virus de la rage, qui infectent les cellules nerveuses. Pierre-Marie Lledo, qui dirige le laboratoire « Mémoire et perception », travaille notamment sur la mémoire, la perception sensorielle ou les liens entre microbiote intestinal et fonctions cérébrales.
Durant ces deux années de pandémie, ces chercheurs, au sein d’un consortium à Pasteur, ont déjà publié des découvertes intéressantes, ce qui les a menés chacun à un projet sur le Covid long.
Quelles ont été ces découvertes tout d’abord ?
Ils ont montré, pour la première fois, que le virus infectait les neurones olfactifs ! Les neurones olfactifs, ce sont les cellules nerveuses situées tout en haut du nez, dans une couche de cellules qui s’appelle l’épithélium olfactif. Ces neurones sont là pour capter les odeurs et transmettre l’information reçue au cerveau, qui est tout près.
C'est ce qui explique la perte de l’odorat liée à la Covid-19 ?
Oui et ils l’ont prouvé. Ils ont d’abord étudié un modèle animal, le hamster, qui peut être contaminé par le SARS-Cov-2. Ils ont découvert qu’en infectant les neurones olfactifs, le virus détruisait l’architecture de cette couche de cellules et leurs cils. Ces cils sont de petits prolongements des neurones sensoriels sur lesquels justement il y a les récepteurs aux odeurs. Sans les cils l’animal perd l’odorat, ils l’ont montré par plusieurs tests. Après le hamster récupère son odorat, en 10 jours environ.
Et chez l’Homme ?
Ils ont montré que c’est le même processus qui conduit à la perte de l’odorat. Grâce à une technique mise au point avec les ORL de Lariboisière, ils peuvent récupérer un échantillon d’épithélium olfactif chez des patients : c’est une sorte de frottis sous anesthésie locale, avec une toute petite brosse. Ils ont découvert ainsi que le virus avait le même effet destructeur et provoquait une inflammation autour des neurones. Ce qui a ouvert la possibilité que le virus et l’inflammation puissent pénétrer dans le cerveau, puisque derrière la cavité nasale se trouve le cerveau.
C’est donc ce qu'il se passe ?
Il semble que oui. Chez le hamster, l’équipe a mis en évidence du matériel génétique viral dans plusieurs endroits du cerveau. Par leur technique de frottis, ils ont aussi découvert du virus chez des gens souffrant de Covid long avec perte d’odorat. Alors qu’avec le prélèvement habituel par écouvillon (comme quand on va à la pharmacie) le virus n’est pas détecté, leur PCR est négative !
Cela signifie-t-il que le virus reste caché quelque part dans ces neurones olfactifs ?
C’est précisément ce que voudrait comprendre Guilherme Dias De Melo ! Son projet, appelé LongNeuroCovid, vise à comprendre quel rôle peuvent jouer cette invasion du système nerveux par le virus et l’inflammation qu’il provoque dans certains symptômes du Covid long : en particulier la perte de l’odorat, l’anxiété et la dépression qui s’installent chez des patients pendant plusieurs mois.
Comment le chercheur va-t-il s'y prendre ?
Il va poursuivre ses travaux chez son modèle de rongeur, en recherchant d’abord les symptômes persistants après la Covid. Il a en effet quelques résultats préliminaires qui montrent que ça existe aussi chez le hamster. Pour cela, il prévoit toute une batterie d’examens physiologiques, mais aussi pour suivre les troubles olfactifs, les troubles de la mémoire, l’anxiété ou la dépression par des tests comportementaux. Pour la capacité olfactive, on peut cacher de la nourriture et voir en combien de temps le rongeur la trouve (ou pas, s’il a perdu l’odorat). Ou encore mettre une odeur répulsive ou attractive, et voir s’il a une réaction. L’anxiété, elle, peut être évaluée en observant comment l’animal explore un environnement nouveau, par exemple composé d’une partie blanche et d’une partie noire. Un animal anxieux restera plus de temps dans la partie sombre, où il se sentira sécurisé. Pour l’apprentissage et la mémoire, par exemple, on place dans la cage deux objets identiques un jour, on laisse le rongeur les explorer puis on les enlève. Le lendemain on en apporte encore deux : un strictement identique à ceux de la veille et un nouveau. Un animal sans problème de mémoire passe moins de temps à examiner l’objet identique, et plus de temps à découvrir le nouvel objet.
Et si les rongeurs montrent bien des symptômes similaires à ceux rencontrés chez l’Homme ?
C’est bien ce qu’espère Guilherme ! Là, les analyses biologiques entrent en jeu : il cherchera les voies et les structures cérébrales impliquées en regardant dans lesquelles il y a du virus, de l’inflammation et quel est leur rôle dans les symptômes à court et à long terme. Il utilisera aussi pour ça des réseaux de neurones humains cultivés au laboratoire. Par des techniques très complexes, il essaiera de comprendre comment le virus se propage aux neurones et comment il voyage dans ces cellules. Et enfin, il cherchera s’il y a une différence entre les variants de virus qui causent la COVID-19. On sait par exemple qu’il y a beaucoup moins de perte d’odorat avec Omicron.
Et le projet mené par Pierre-Marie Lledo sur ce sujet du Covid long ?
Dans ce projet, qui s’appelle ETOC (pour « Étude des troubles olfactifs et cognitifs »), il s’agit d’étudier 30 patients atteints de perte de l’odorat depuis au moins 8 mois après l’infection. D’après les résultats déjà obtenus, cette perte de l’odorat pourrait bien signer la persistance de l’infection virale chez ces patients. Et de fait expliquer ces symptômes de Covid long. C’est ce que voudrait vérifier Pierre-Marie Lledo.
Donc l’idée, là aussi, c’est de faire une batterie de tests chez ces patients, au moment de leur recrutement dans l’étude, puis 12 mois plus tard pour voir l’évolution. Ces études complexes seront pluridisciplinaires. Il faudra en effet analyser les échantillons de cellules olfactives prélevées par frottis, mais aussi faire passer au patient des tests neurologiques (de mémoire, de langage) et psychiatriques (pour les émotions). Et, bien sûr, toute une série de tests olfactifs très pointus, mis au point avec un ingénieur pour enregistrer la réaction cérébrale à la présentation de différentes odeurs.
Au final, qu’est-ce qu’espèrent obtenir ces chercheurs ?
Ils espèrent comprendre les mécanismes qui mènent aux troubles neurologiques et psychiatriques observés dans le Covid long pour les prévenir et mieux les prendre en charge. Ce qui pourrait aussi bénéficier à d’autres maladies induites par des virus qui touchent le cerveau et le système nerveux, comme le virus de la Rage ou Zika.