Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu à l’Institut des neurosciences de Grenoble, pour rencontrer Frédéric Saudou, professeur et praticien hospitalier, et Sandrine Humbert, directrice de recherche à l’Inserm. Ces deux chercheurs étudient depuis de nombreuses années une maladie génétique rare, la maladie de Huntington, qui touche 18 000 personnes en France.
Cette rencontre était au cœur de la chronique santé de Thierry Lhermitte du lundi 31 janvier 2022, dans Grand Bien Vous Fasse sur France Inter.
Qu’est-ce que la maladie de Huntington ?
C’est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire dans laquelle certains neurones (les cellules nerveuses) disparaissent progressivement. Évidemment, c’est grave et cela entraîne de nombreux déficits. C’est une maladie génétique, causée par une mutation particulière dans le gène d’une protéine, la Huntingtine· Cette mutation se transmet à la descendance sur un mode dominant, c’est-à-dire qu’il suffit d’hériter d’une seule copie du gène pour développer la maladie (sur les deux copies transmises par le père et la mère). Ce qui signifie aussi qu’un parent atteint a 1 chance sur 2 de transmettre la maladie à ses enfants.
Comment se manifeste-t-elle ?
C’est assez terrible car la maladie de Huntington est une maladie évolutive, un peu comme Alzheimer ou Parkinson, sauf qu’ici les symptômes apparaissent beaucoup plus tôt, le plus souvent entre 30 et 50 an · Lors de ma visite, Dominique Ville, représentante de l’association France Huntington, était présente et a évoqué les difficultés des patients, mais aussi celles de tout leur entourage ! Car il y a à la fois des symptômes psychiatriques, cognitifs et moteurs· Les signes psychiatriques et comportementaux apparaissent d’abord, comme la dépression, l’apathie, la fatigue, les addictions· Avec le déclin cognitif le malade rencontre des problèmes d’organisation, de planification, de mauvaise interprétation des situations. Ça devient vite incompatible avec le travail· Enfin il y a les symptômes les plus caractéristiques, qui apparaissent plus ou moins tardivement selon les cas : ce qu’on appelle la chorée, c’est-à-dire des mouvements brusques et involontaires qui peuvent toucher toutes les parties du corps (membres, tronc, visage). L’articulation et la déglutition sont altérées aussi.
Combien de personnes sont concernées en France ?
C’est une maladie rare, qui touche 18 000 personnes : 6 000 malades et 12 000 personnes diagnostiquées et encore sans symptômes· Des consultations de génétique sont en effet proposées aux familles quand il y a un malade. Un test génétique est possible à partir de 18 ans· Il faut savoir que quand on est porteur de la mutation dans le gène de la Huntingtine, la maladie se développera forcément. Seule inconnue : à quel âge ? Un couperet redoutable pour la personne et un vrai cataclysme pour la famille !
Existe-t-il des traitements contre la maladie de Huntington ?
Rien de spécifique malheureusement. Donc on traite uniquement les symptômes. L’activité physique est aussi conseillée pour préserver le plus longtemps les capacités des patients· D’après l’association Huntington France, il y a quand même un vrai bénéfice pour le patient à être bien pris en charge dès les premiers symptômes· Tout l’enjeu de la recherche aujourd’hui est donc de mieux comprendre les mécanismes de la maladie pour trouver un traitement.
Et c’est l’objet des travaux de Frédéric Saudou et de Sandrine Humbert ?
Absolument. Depuis une vingtaine d’années ils étudient cette maladie et leurs travaux ont largement contribué à en dévoiler les mécanismes. Ils ont d’abord montré que chez les malades il y avait un problème de communication entre 2 régions du cerveau, le cortex et le striatum.
Le cortex, qui est la couche externe du cerveau, reçoit notamment les signaux captés par nos sens et est le siège des fonctions cognitives ; chez les malades, il envoie des signaux anormaux au striatum, qui en retour fait de même.
Le striatum, c’est une structure centrale du cerveau : il participe au contrôle du mouvement, aux fonctions cognitives comme l’exécution des tâches, la planification. Il fait aussi partie du système de récompense, qui motive nos actions et joue un rôle dans les addictions.
Chez les malades, ce problème de communication entre le cortex et le striatum se traduit par une diminution du volume de ces régions car leurs neurones finissent par mourir. D’où les symptômes.
Qu’ont-fait les chercheurs ensuite ?
Ils ont recherché quel était le rôle de la Huntingtine dans le cerveau. Et ils ont découvert qu’elle sert à transporter à l’intérieur des neurones un facteur qui s’appelle BDNF. Un facteur indispensable à la vie de nos cellules nerveuses. Sans lui elles meurent· Pour ça, ils ont utilisé un système expérimental fascinant : dans une sorte de puce microscopique, ils recréent les connexions entre les neurones du cortex et ceux du striatum en utilisant des neurones de souris saines ou de souris malades. Et ils filment le transport du BDNF dans ces cellules· Le résultat, c’est que chez les malades la mutation de la Huntingtine empêche le striatum d’être correctement approvisionné en BDNF par le cortex. Et ça entraîne progressivement la mort des neurones dans les deux structures.
Il s'agirait donc de rétablir ce transport pour tenter de soigner les malades ?
Oui, et Frédéric Saudou et Sandrine Humbert tiennent une piste sérieuse ! Ils ont découvert une molécule qui restaure ce transport de BDNF chez des souris qui ont la maladie de Huntington· Et les tests comportementaux montrent qu’elles retrouvent des aptitudes proches de celles de souris saines· Cette molécule a été brevetée et son développement va se poursuivre dans une biotech qui sera bientôt créée. En espérant qu’elle parvienne d’ici quelques années en essais cliniques.
Donc la question serait quasiment résolue ?
C’est un espoir pour les malades, mais il reste de très nombreuses questions en suspens. Et notamment la question de l’âge d’apparition de la maladie.
Pourquoi durant des années il n’y a pas de symptômes ? Quand les premières anomalies se produisent-elles dans le cerveau ?
L’équipe de Sandrine Humbert cherche à répondre à cette question· En étudiant des souris malades, elle a découvert que dès la naissance leur cerveau a 10 % d’épaisseur en moins que chez des souris saines. Donc les anomalies se produisent très tôt au cours du développement·
Le projet maintenant est de comprendre précisément les étapes de la maladie en étudiant chaque phase du développement du cerveau. Là, les chercheurs ont un outil génial, un microscope à feuille de lumière : ils peuvent rendre transparent le cerveau entier et observer les réseaux de neurones en 3D !
On aura certainement des réponses grâce à ces travaux passionnants.