Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu à l’Institut Curie, à Paris, pour rencontrer l’équipe menée par Philippe Chavrier et découvrir le projet de Cécile Gamblin, dont la thèse est financée par la FRM.
Son projet vise à comprendre la capacité de dissémination des cellules du cancer du sein triple négatif, qui est le cancer du sein le plus agressif.
Pour tout savoir de cette rencontre (ré)écoutez la chronique de Thierry Lhermitte diffusée le 18 décembre 2023 dans « Grand Bien Vous Fasse » sur France Inter :
Ali Rebeihi : Thierry, vous vous êtes rendu à l’Institut Curie, à Paris, pour rencontrer l’équipe « Dynamique de la membrane et du cytosquelette », menée par Philippe Chavrier. Il est directeur de recherche au CNRS et son équipe étudie la biologie de la cellule sur un plan fondamental. Il vous a présenté le projet de Cécile Gamblin, dont la thèse est financée par la Fondation pour la Recherche Médicale. Son projet vise à comprendre la capacité de dissémination des cellules du cancer du sein triple négatif, qui est le cancer du sein le plus agressif.
Thierry Lhermitte : Ce cancer représente 15 % des cas de cancer du sein. On l’appelle « triple négatif » car les cellules tumorales n’ont aucun des trois récepteurs le plus souvent présents dans le cancer du sein et qui sont ciblés par les traitements classiques. De nouvelles thérapies sont apparues récemment, mais trois quarts des patientes ne répondent pas aux traitements. Ce cancer touche souvent des femmes jeunes. De plus, il est très agressif, avec une forte propension à former des métastases et à rechuter.
Ali Rebeihi : D’où la nécessité de comprendre les mécanismes en cause pour trouver ensuite des traitements spécifiques.
Thierry Lhermitte : Oui, ce que Philippe Chavrier veut expliquer, c’est la manière dont les cellules cancéreuses parviennent à franchir la gaine qui les entoure pour passer dans la circulation et essaimer dans l’organisme.
Ali Rebeihi : C’est quoi cette gaine qui entoure la tumeur ?
Thierry Lhermitte : Il faut d’abord dire que le sein est formé d’un réseau de glandes, qui produisent le lait lors de la maternité et sont reliées par des canaux, qui collectent le lait et l’amènent jusqu’au mamelon. La plupart des cancers du sein triple négatif se forment à partir des cellules qui tapissent la paroi d’un de ces canaux. En se multipliant, les cellules cancéreuses envahissent le canal localement et forment une tumeur qui peut devenir très grosse. Autour du canal il y a une sorte de gaine, d’enveloppe, totalement infranchissable pour les cellules saines. Mais dans les cancers invasifs, ceux qui sont agressifs, les cellules tumorales parviennent à traverser cette enveloppe et gagnent la circulation pour donner naissance à des métastases.
Ali Rebeihi : Et donc l’équipe de Philippe Chavrier tente de comprendre comment font les cellules tumorales pour franchir l’enveloppe qui entoure le canal.
Thierry Lhermitte : L’équipe de Philippe Chavrier étudie depuis les années 2000 des structures particulières, appelées invadopodes, qui sont formées par les cellules cancéreuses invasives. C’est d’ailleurs l’une des équipes au monde la plus en pointe dans ce domaine. Les invadopodes, ce sont de petites excroissances de la cellule dont Philippe Chavrier dit qu’elles sont le couteau suisse de la cellule cancéreuse. En effet, l’équipe a montré que ces invadopodes sont capables de repousser et de ramollir les fibres de collagène qui constituent les tissus autour de la tumeur, en premier lieu la paroi du canal aux dépens duquel elle s’est développée. Ça leur permet de transpercer la paroi en formant un tunnel dans lequel les cellules peuvent se faufiler jusqu’à la circulation. Mais l’équipe a aussi mis en évidence une autre fonction de ces invadopodes : ils permettent en plus à la cellule d’« avaler » le collagène qui constitue la paroi des canaux. L’hypothèse, que l’équipe teste aujourd’hui, est que ce processus nourrirait la cellule cancéreuse. Car, le milieu clos du canal dans lequel se développe la tumeur ne semble contenir aucun nutriment. Et sans nutriment les cellules ne peuvent pas se multiplier.
Ali Rebeihi : On sait comment agissent ces invadopodes ?
Thierry Lhermitte : Avec son équipe, Philippe Chavrier a découvert le rôle central d’une protéine, appelée MT1-MMP, qui est très dense à la surface des cellules de cancer du sein aux propriétés invasives. Et cette protéine justement est présente à la surface des invadopodes. David Remy, jeune chercheur dans l’équipe, étudie les signaux qui, dans l’environnement de la cellule tumorale, conduisent celle-ci à former des invadopodes qui lui permettront de s’échapper de la tumeur d’origine. Il semble y avoir deux types de signaux :
Ali Rebeihi : Et le projet de Cécile Gamblin s’inscrit dans cette optique ?
Thierry Lhermitte : Exactement. Ses travaux visent à comprendre les mécanismes moléculaires qui, à partir du stress nutritif, déclenchent la formation des invadopodes, et donc le comportement invasif des cellules cancéreuses du sein. Là on entre dans le domaine de la biologie cellulaire et je ne vais pas entrer dans les détails car c’est d’une grande complexité. L’idée, c’est de décortiquer les cascades de réactions biochimiques qui servent à la cellule pour adapter sa croissance en fonction de la disponibilité des nutriments. Ces réactions mettent en jeu un grand nombre de protéines qui, selon l’environnement, sont activées ou non et orientent apparemment la cellule soit vers la croissance et la multiplication, soit vers l’ingestion de collagène.
Ali Rebeihi : Avec ce projet, quel est l’objectif final de Cécile Gamblin et de l’équipe de Philippe Chavrier ?
Thierry Lhermitte : Le premier intérêt est de comprendre tous ces mécanismes, pour prédire si une tumeur localisée va devenir invasive et limiter les traitements. Le deuxième intérêt, bien sûr, est potentiellement de développer nouvelles thérapies dans le cancer du sein triple négatif ; des thérapies qui soient capables d’empêchent la tumeur de métastaser.