Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu à l'Institut Gustave Roussy (Villejuif), pour rencontrer Benjamin Verret, jeune oncologue médical spécialisé dans le cancer du sein, soutenu par la FRM pour son projet de thèse de sciences au sein de l’équipe « Caractérisation moléculaire des cancers gynécologiques et mammaires », sous la direction du Pr Fabrice André.
Cette rencontre a fait l'objet de la chronique de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 27 février 2023 dans l'émission "Grand Bien Vous Fasse" de Ali Rebeihi sur France Inter, à (ré)écouter ci-dessous.
Selon l’Institut national du cancer, il y a 58 000 nouveaux cas annuels de cancers du sein en France. C’est le premier cancer chez la femme, puisqu’il représente 1/3 de l’ensemble des cancers féminins. Il est généralement diagnostiqué entre 55 et 67 ans. Il engendre 12 000 décès par an. C’est encore la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Encore, car les cas de cancer du poumon sont en progression chez les femmes et les décès aussi, c’est en passe de devenir le cancer féminin le plus meurtrier.
Le cancer du sein est assez complexe pour plusieurs raisons. L’une d'elles, c’est la structure même du sein, qui est une glande. Il contient plein de minuscules glandes où est produit le lait. Elles sont reliées par des petits canaux ramifiés qui se rejoignent progressivement pour se jeter dans de plus grands canaux qui arrivent à l’extrémité du mamelon.
Ce sont ces glandes qui sont touchées par le cancer ?
Le plus souvent, le cancer se développe dans la paroi des canaux, c’est ce qu’on appelle le carcinome canalaire. Mais il existe aussi le carcinome lobulaire, qui prend naissance dans les petites glandes qui produisent le lait. Et d’autres aussi... Le diagnostic est posé à partir d’une biopsie : un petit échantillon de la tumeur qu’on regarde au microscope. Si le cancer est bien circonscrit et n’envahit pas les tissus autour, on parle de carcinome in situ. Au contraire, quand la tumeur se propage aux tissus voisins, on parle de carcinome infiltrant. C’est un cancer qui est plus agressif car il a tendance à disséminer et former des métastases.
Sait-on à l’avance comment le cancer va évoluer ?
Non et c’est un problème ! Dans d’autres types de cancers, on sait qu’il y a une progression d’une lésion précancéreuse vers un cancer circonscrit, puis invasif. Mais dans le cancer du sein, ce n’est pas clair, on ne sait pas dire quel carcinome in situ va évoluer vers une forme infiltrante et invasive, et au contraire même parfois régresser spontanément ! Dans le doute, quand on dépiste une tumeur maligne, on la traite systématiquement.
L’efficacité du dépistage organisé sur la mortalité est bien démontrée.
Et c’est tout pour le diagnostic ?
Non, on analyse systématiquement la tumeur du point de vue moléculaire pour utiliser des thérapies qui attaquent la tumeur sur ses caractéristiques. On recherche notamment certaines protéines souvent retrouvées dans les tumeurs du sein.
Plusieurs qui ont utilisées en routine : d'abord, les 2 récepteurs aux hormones féminines, les œstrogènes et la progestérone. En captant les hormones du sang, ces récepteurs transmettent des signaux de croissance à la tumeur. Une partie du traitement consiste alors à administrer une hormonothérapie, qui bloque l’action des hormones. Quand la tumeur a beaucoup de récepteurs hormonaux, on sait qu’elle va bien répondre à ce traitement.
Ensuite, on cherche en plus la présence d’une autre protéine, appelée HER2. Elle aussi facilite l’action de facteurs qui font croître la tumeur. Elle est présente en grande quantité dans 10% des tumeurs. On a là aussi des traitements spécifiquement dirigés contre cette protéine, mais le pronostic est moins bon, avec un risque plus élevé de rechute. Les tumeurs peuvent combiner ces différentes protéines et le traitement va être adapté.
Grâce aux progrès thérapeutiques, ces cancers ont tendance à devenir des maladies chroniques, avec une survie jusqu’à 10 ans et plus. Mais dans 10 à 15% des cas le cancer est dit « triple négatif », c’est-à-dire qu’il ne présente pas ces 3 protéines. Non seulement c’est un cancer plus agressif, mais en plus les traitements précédents n’ont pas d’efficacité. La stratégie est de faire une chimiothérapie puis une chirurgie. De fait, le pronostic est plus sombre, avec une survie de 24 mois lorsqu’il y a des métastases.
D'où la nécessité de poursuivre les recherches.
En quoi consiste le projet de Benjamin Verret ?
Il travaille sur le cancer du sein luminal, qui se développe dans les canaux et présente des récepteurs aux hormones. C’est de loin le plus fréquent, il représente les trois quarts des cas de cancers du sein. Il se traite plutôt bien par l’hormonothérapie, mais il reste des échecs encore mal compris, avec des résistances aux traitements et des rechutes.
Il voudrait surtout comprendre un paradoxe : ce cancer luminal ne répond pas à la chimiothérapie avant la chirurgie et l’hormonothérapie. En revanche, la chimiothérapie après ces traitements permet de diminuer significativement le risque de rechute. Ça suggère donc qu’elle élimine les cellules cancéreuses résiduelles.
L’hypothèse que le chercheur veut investiguer, c’est que la tumeur serait constituée en réalité de populations de cellules différentes, avec des caractéristiques propres et des réponses différentes à la chimiothérapie. Celle-ci pourrait éliminer des populations de cellules résistantes à l’hormonothérapie.
Et comment faire pour comprendre ce qui se passe dans ces tumeurs ?
Benjamin Verret va utiliser les toutes dernières technologies pour analyser une par une les cellules cancéreuses composant la tumeur ! En partant d’un échantillon de tumeur, il va examiner le matériel génétique complet de chaque cellule et l’ensemble de ses protéines.
C’est un travail de titan, je ne vous le cache pas. Ça demande à la fois des techniques de biologie et de traitement informatique des données car le nombre de données générées est énorme !
Et qu’espère-t-il découvrir ?
L’objectif est de caractériser beaucoup plus finement les cellules cancéreuses qui composent la tumeur avant et après les traitements pour déterminer quelles populations de cellules sont sensibles ou résistantes à l’hormonothérapie et à la chimiothérapie ·
Comprendre l’effet de l’hétérogénéité de la tumeur permettra, il l’espère, d’adapter encore mieux les traitements à la patiente.