Mis à jour le 9 mars 2023

La santé mentale à l'épreuve des mutations de la société : un besoin accru d'investir dans la recherche sur les maladies psychiatriques

A l’occasion de la 3ème édition de sa Semaine de la recherche en santé mentale, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) alerte sur les besoins accrus de la recherche pour faire face à cet enjeu de santé publique prioritaire et lance une campagne d’appel aux dons tout le mois de mars afin de soutenir de façon durable la recherche dans ce domaine.

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Philippe Fossati, Professeur des universités-Praticien hospitalier, Groupe hospitalier Pitié Salpêtrière, Service de psychiatrie (Paris), nous éclaire sur les impacts qu’a pu avoir le contexte sociétal récent et sur les pistes d’avenir de la recherche en psychiatrie.

Quels impacts les changements de société ont eu sur notre santé mentale, ces 10-20 dernières années ?

L’incidence des troubles psychiatriques, en particulier les troubles anxieux et les troubles dépressifs ont augmenté ces dernières années. Et plus récemment, à cause du confinement lié au Covid, nous avons vu une nette recrudescence des urgences à l’hôpital, en particulier des jeunes entre 15 et 25 ans avec plus de troubles anxieux et dépressifs, et davantage de tentatives de suicide.

Plus largement, la santé mentale des Français a changé. Fatigue mentale, fatigue collective, fatigue démocratique : le mot « fatigue » a pris du poids. 

Le burn-out est devenu un vrai sujet, même s’il n’est pas reconnu comme maladie psychiatrique. C’est pourtant une réalité sociologique. C’est une pathologie du travail, liée aux changements de société et probablement aussi au management, qui pose la question du sens du travail aujourd’hui. Par ailleurs, les métiers deviennent plus cognitifs, à charge mentale plus grande, les risques psychosociaux sont aujourd’hui plus importants que les risques physiques.

Et puis toutes les pathologies périnatales et de la puerpéralité sont devenus des sujets importants. La dépression du post-partum touche 5 à 10 % des femmes qui viennent d’accoucher. Dans nos pays développés, la première cause de mortalité post-accouchement, c’est le suicide maintenant. 

Une psychiatre suédoise, Marie Asberg, pense avoir identifié une nouvelle entité psychiatrique. Lors du congrès de l’European college of neuropsychopharmacology à Vienne en 2022, elle dit avoir constaté une augmentation du nombre de personnes présentant un syndrome de l’épuisement mais différent du burn-out et de la dépression, qui se traduit par de la fatigue et des troubles cognitifs.

Que sait-on concrètement de la part de responsabilité des facteurs environnementaux qui sont apparus ou se sont intensifiés ces dernières années, comme le stress ou la pollution, dans l’apparition de ces troubles ?

En France, certaines équipes de recherche travaillent sur ces facteurs, notamment sur le climat, l’humeur, le stress, la pollution atmosphérique. Mais c’est compliqué, c’est très difficile de les isoler. On pense qu’ils ont une réelle contribution dans l’apparition des troubles psychiatriques mais on a l’impression que leur poids n’est pas très important.

Avec mon équipe, nous nous étions demandé si le climat jouait un rôle sur les variations de prévalence de la dépression qui est observée en fonction des pays. Nous avions montré que la monotonie du climat avait un impact, en particulier l’humidité, avec probablement un rôle de la pression atmosphérique, et ce bien plus que le niveau d’ensoleillement. 

Dans la schizophrénie, le rôle de l’urbanicité est bien connu, cette pathologie est apparue tardivement avec l’apparition des villes.

Vos travaux de recherche portent sur certains de ces troubles, pouvez-vous nous en parler ?

Dans mon équipe de recherche, nous disséquons les mécanismes précis d’action des antidépresseurs en utilisant les outils des neurosciences, notamment l’imagerie. Nous nous nous intéressons actuellement à la kétamine, une molécule utilisée comme anesthésiant. Nous nous sommes aperçus qu’elle avait des effets bénéfiques très rapide dans la dépression, contrairement aux autres médicaments qui mettent 4 à 6 semaines avant d’avoir une action visible. Nous voulons maintenant comprendre les mécanismes cognitifs des effets précoces de cette molécule. Les personnes dépressives ont perdu le biais optimiste, ils adaptent moins leurs croyance – « je vais avoir un cancer » ; « je vais avoir un accident » – quand il y a une nouvelle positive. Or, on a constaté que la kétamine, qui agit sur les systèmes glutamatergiques, restaure au bout de 4 heures ce biais optimiste, ce qui prédit la réponse ultérieure au traitement. Nous regardons actuellement si ce mécanisme est spécifique à la kétamine.

Quelles sont les pistes de recherche d’avenir en psychiatrie ?

Globalement, je considère qu’il y a deux manières de faire de la recherche en psychiatrie aujourd’hui, et elles doivent s’équilibrer. Une recherche qui utilise les big data, le machine learning, l’intelligence artificielle… pour laquelle on doit constituer de larges cohortes. Et une recherche basée sur des hypothèses, des mécanismes précis, qui nécessite des plus petites populations.

Plus concrètement, la psychiatrie computationnelle est une piste innovante. Elle consiste à créer des modélisations mathématiques des comportements, elle s’appuie sur l’intelligence artificielle. Ces modèles mathématiques permettent de proposer une nouvelle grille de lecture des symptômes et des traitements des maladies psychiatriques. Et puis, les microARN et les ARN, des molécules qui reflètent l’expression des gènes et que l’on peut retrouver dans la circulation sanguine, sont très prometteurs car ce sont des biomarqueurs potentiels pour diagnostiquer les pathologies et prédire le traitement.

La FRM organise la 3ème édition de la Semaine de la recherche en santé mentale, pour informer les Français sur les avancées de la recherche et appeler aux dons nécessaires au financement de nouveaux projets.

Chaque jour, un binôme constitué d’un expert de la FRM et d’une personnalité sensible à l’une de ces problématiques, donne rendez-vous, en direct sur Instagram. 30 minutes de discussion pour approfondir leurs connaissances et expériences de ces maladies. Des échanges à voir ou à revoir sur le compte de la FRM : @frm_officiel.

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