Le Pr Catherine Chaussain, Emmanuel Farge, Jennifer Bordenave... Ces chercheur.euse.s dont les pistes innovantes ont contribué à faire avancer la recherche médicale sont unanimes : la première qualité d’un chercheur est l’obstination. Si l’échec et le doute ont parfois traversé leur trajectoire, ils ne les ont jamais empêchés d’avancer.

EMMANUEL FARGE

Directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe « Mécanique et génétique du développement embryonnaire et tumoral » à l’Institut Curie à Paris.

Pouvez-vous présenter l’objet de votre recherche ?

Nous  travaillons  sur  le  contrôle  mécanique  de  l’activation  des  gènes responsables du développement embryonnaire par les contraintes  liées  aux  changements  de  forme  de  l’embryon au  cours  de  son  développement,  et  des  gènes  tumoraux  par  les  contraintes  liées  à  la  croissance  des  tumeurs  dans  le  tissu  adulte.  Pour  le  dire  simplement,  notre  projet  de  recherche  a permis  de  montrer  que  tout  n’est  pas  purement  génétique  dans  la  régulation  de  l’activité  biologique  du  développement  embryonnaire et tumoral, mais aussi mécanique, et ce de façon intimement liée à la forme de nos tissus. Donc que le fonctionnement de notre corps n’est pas prédéterminé de façon absolue par notre seul génome.

Avez-vous été particulièrement persévérant ?

Cette  idée  de  recherche  m’est venue  il y  a  20  ans,  dans  un contexte  scientifique  où  l’idée  du  rôle  central  exclusif  du génome  dans  la  régulation  des  activités  biologiques  de  nos  tissus  était  la  norme,  et  prépondérante.  Il  nous  a  fallu,  avec  l’équipe,  beaucoup  de  patience  pour  arriver  a  caractériser  dans  son  entièreté  cette  nouvelle  découverte  et  ce  changement de paradigme ; un certain nombre d’années et plusieurs publications ont été nécessaires. Étant physicien de formation, j’ai dû aussi apprendre la biologie. Ce qui a été un très grand plaisir intellectuel

Quelle a été votre plus grande difficulté ?

J’ai été confronté à un blocage qui m’a paru long, suite à une idée que l’on pouvait se faire a priori sur le capteur mécanique moléculaire permettant un tel processus. Mais je ne l’ai jamais vu s’activer, durant 6 mois. J’ai alors eu peur d’être contraint à abandonner. Suite à de nombreux échanges, j’ai fini par trouver le bon senseur mécanique moléculaire. Que nous avons dans l’équipe depuis, de surcroit, trouvé impliqué dans le développement tumoral.

Quelle est la place du doute, de la remise en cause, dans votre métier de chercheur ?

Ce que je trouve particulièrement intéressant dans ce métier, c’est que vous ne trouvez jamais entièrement ce que vous cherchiez  au  départ.  Vous  pouvez  développer  des  idées  très  intéressantes  sur  un  point  particulier,  mais  si  la  nature  ne  fonctionne  pas  sur  ce  point  comme  vous  l’aviez  intuité,  certaines  expériences  vous  résistent,  et  vous  font  nécessairement  douter.  Il  faut  alors  développer  des  stratégies  intellectuelles  et  d’expérimentation  alternatives,  pour  trouver  la  solution. Le doute est donc un moteur de progrès.

Êtes-vous un obstiné raisonnable ou jusqu’au-boutiste ?

Un  obstiné  raisonnable.  En  cas  d’obstacle,  il  est  essentiel  d’échanger  avec  les  autres  pour  avancer  dans  la  meilleure  direction.

La dernière fois où vous vous êtes obstiné ?

Je  m’obstine  tous  les  jours  ! À  essayer  de  résoudre  un  problème qui me tient à cœur humainement, intellectuellement, financièrement.

Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?

Les concepts qui sont en jeu dans la recherche et les applications thérapeutiques qui en résultent.

L’obstination en... Un mot ?

Intuition, conviction, rationalité.

Une phrase ?

Être en phase avec soi-même, et les enjeux conceptuels, médicaux et humains de la société.

Un objet ?

Un cerveau

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