Depuis une quarantaine d’années, on sait modifier le patrimoine génétique d’une cellule végétale ou animale, et donc d’un individu tout entier.
Récemment, l’avènement de nouvelles techniques très simples d’utilisation a relancé le débat éthique.
C’est notamment le cas de la technique dite des ciseaux moléculaires, qui a valu cette année le Prix Nobel de chimie à deux femmes, dont la Française Emmanuelle Charpentier.
Cheffe du département de Biothérapie et du Centre d’investigation clinique de biothérapie de l’Hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), codirectrice du laboratoire de lymphohématopoïèse humaine à l’Institut des maladies génétiques Imagine (Paris).
NON
Il existe différentes techniques de modification du génome. Lorsque l’on intervient sur des cellules somatiques1, les modifications génétiques ne sont pas transmissibles d’une génération à l’autre. C’est ce que l’on fait avec la thérapie génique : nous apportons un « gène médicament » dans une population de cellules qui doit être corrigée pour fonctionner correctement.La personne traitée ne transmet pas ce « gène médicament » à sa descendance. Alors que la thérapie génique est une technique difficile à maîtriser, et donc utilisée par peu d’équipes dans le monde, de nouveaux outils moléculaires plus faciles à manipuler, comme CRISPR-Cas9, sont apparus.
Ces outils permettent de modifier facilement le génome de cellules embryonnaires, qui peuvent ensuite être implantées dans un organisme pour se développer et donner naissance à un nouvel individu. Si elles étaient autorisées, ces modifications génétiques seraient héréditaires car elles concerneraient toutes les cellules du nouvel individu.
En l’état actuel des connaissances, nous n’avons aucune preuve de l’efficacité et surtout de l’innocuité de cette approche pour traiter une maladie génétique.
Par ailleurs, les possibilités actuelles en matière de prévention, de diagnostic, de procréation médicalement assistée et de thérapie génique somatique nous permettent de ne pas avoir besoin de manipuler le patrimoine génétique d’un embryon tout entier pour en corriger un défaut. Il n’y a donc pas lieu d’autoriser de telles manipulations en dehors de la recherche. L’inquiétude vient plutôt d’autres pays, notamment la Chine, où l’encadrement est moindre, voire inexistant.
Professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, département Hommes natures sociétés, et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
OUI, MAIS ...
En France, nous avons des textes réglementaires pour encadrer la thérapie génique sur les cellules somatiques. La modification génétique de cellules reproductrices est quant à elle interdite.
Dans un avis rendu cet été, le Comité consultatif national d’éthique a estimé que la réglementation pourrait évoluer sur ce point.
D’abord, il est primordial d’encourager les recherches pour améliorer nos connaissances. Par ailleurs, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est ouvert à la possibilité d’autoriser la réparation du génome de cellules reproductrices chez l’être humain, à la condition qu’il n’existe aucune autre solution thérapeutique ou préventive. Or aujourd’hui, nous disposons de nombreuses techniques pour lutter contre les maladies génétiques.
Par ailleurs, d’éventuelles modifications héréditaires du génome ne devront bien sûr être envisagées que dans le cadre d’une pathologie précise, et non pas avec des visées d’eugénisme2.
Vouloir contrôler parfaitement notre patrimoine génétique est tout à fait illusoire et éthiquement inenvisageable. Là-dessus, le CCNE est formel.
1 - Cellules somatiques : cellules formant un organisme et n’appartenant pas à la lignée de cellules germinales, c’est-à-dire des gamètes ou cellules reproductrices.
2 - Eugénisme : ensemble de théories et pratiques fondées sur la génétique et visant à améliorer l’espèce humaine.