Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreux médecins et chercheurs ont exprimé des désaccords, et ce pour des raisons légitimes.
Mais l’on a aussi entendu beaucoup d’autres personnes s’exprimer à tort et à travers dans les médias.
Alors que notre besoin de comprendre et d’expliquer n’a jamais été aussi fort, une certaine défiance se développe envers la science en général, et le monde de la santé en particulier.
Alors peut-on parler de vérité scientifique ?
Points de vue de deux experts.
Physicien et philosophe des sciences, directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au CEA de Saclay, auteur notamment de « Le goût du vrai », paru en 2020 aux éditions Gallimard.
OUI
La science est parvenue à de nombreuses reprises, parfois au prix de longues années de controverses, à apporter des réponses claires et convaincantes à des questions bien posées. Ces « vérités » peuvent encore évoluer, évidemment, mais sont peu susceptibles d’être complètement remises en cause. Toutefois, la formulation de certaines d’entre elles doit être remaniée pour tenir compte de l’évolution des connaissances. La science n’aurait pas de sens si elle n’avait pas pour horizon l’idée de vérité, mais il faut toujours rester prudent et précis dans la façon d’énoncer les vérités dites « de science ». L’un des problèmes que nous avons actuellement, c’est que l’on confond la science et la recherche, qui sont pourtant deux choses très différentes. Il existe d’une part un corpus de connaissances scientifiques en lequel on a toutes les bonnes raisons d’avoir confiance, et d’autre part des questions dont la réponse n’est pas encore connue. Un chercheur a conscience de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas : chercher, c’est douter ! Mais si l’on confond science et recherche, alors l’idée de doute, consubstantielle à la recherche, colonise l’idée même de science, et on en vient à dire : « la science, c’est le doute ». Mais si la science, c’est le doute, alors pourquoi nous interdirions-nous de la contester à partir de notre propre « ressenti », de nos croyances, de nos convictions ? Cela promeut en outre l’ultracrépidarianisme (comportement qui consiste à donner son avis sur un sujet sans pour autant posséder de compétences crédibles.) : tous ces soi-disant experts qui parlent avec beaucoup d’assurance de sujets qu’ils ne maîtrisent guère ! Confondre science et recherche a donc des effets ravageurs.
Épidémiologiste, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm), Grand Prix de l’Inserm 2020 pour l’ensemble de ses travaux, notamment sur le VIH et la Covid-19.
OUI, MAIS
Plus qu’une réalité, je pense que la vérité scientifique est un objectif à atteindre, car les connaissances se construisent jour après jour. Elles se fabriquent à plusieurs et peuvent évoluer dans le temps. Il arrive par exemple que l’on apprenne quelque chose pendant sa formation, et que l’on découvre finalement au cours de sa carrière que c’était faux ! D’ailleurs, je préfère parler de connaissances scientifiques plutôt que de vérité. Et il faut avoir l’humilité suffisante pour penser que, peut-être, nous n’avons pas tout vu, pas tout compris d’un phénomène. À ce propos, j’aime comparer la science à un endroit que j’aime tout particulièrement : le jardin sec du Ryoan-ji, à Kyoto, au Japon. Dans ce jardin, 15 pierres sont disposées sur un lit de cailloux parfaitement ratissés. Où que l’on se place pour contempler ce jardin, on ne voit jamais plus de 14 pierres à la fois. C’est la même chose lorsque l’on met en place un dispositif expérimental pour étudier scientifiquement un fait : on voit peut-être 14 pierres, mais on ne sait pas s’il y en a en réalité 15 ou bien des dizaines de milliers ! Garder cela en tête permet de rester modeste par rapport aux découvertes que l’on fait. Il faut aussi bien comprendre que les connaissances scientifiques ne peuvent pas être considérées de manière isolée, en dehors de leur contexte historique ou politique par exemple. Et qu’il est normal qu’il existe des débats d’idées entre communautés d’experts. Car c’est aussi comme cela que l’on peut espérer tendre vers la vérité scientifique.