La FRM, qui investit près de 50 millions d’euros dans plus de 400 projets de recherche innovants chaque année, lance une campagne institutionnelle du 22 au 29 novembre 2022 pour rappeler l'utilité de son action, et fait, à cette occasion, le point sur 3 domaines prometteurs d’avancées majeures.
Optimiser l’apprentissage du contrôle des neuroprothèses grâce aux interfaces cerveau machine, développer un modèle de prédiction de l’arrêt cardiaque en utilisant l’intelligence artificielle ou fabriquer un nanomédicament, une molécule thérapeutique encapsulée à l’intérieur d’une particule d’une dizaine à quelques centaines de nanomètres capable d’atteindre le cœur du tissu malade… c’est aujourd’hui une réalité et des espoirs sur lesquels repose l’avenir de notre santé. Mais où en est réellement la recherche ? Que pouvons-nous espérer demain ? Les chercheurs dressent un état des lieux dans 3 domaines particulièrement prometteurs d’innovations médicales, présentent leur projet et dessinent l’avenir de la médecine.
Par le Pr Sébastien Lecommandoux qui dirige le laboratoire de Chimie des Polymères Organiques (Université de Bordeaux / CNRS / Bordeaux INP), responsable de l’équipe « Auto-assemblage des polymères et sciences de la vie ». Il est enseignant-chercheur à l’ENSMAC - Bordeaux INP. Il encadre les travaux de Leslie Dubrana soutenus par la FRM.
« Les travaux de postdoctorat de Leslie Dubrana, dans notre laboratoire, s’inscrivent dans un projet destiné à concevoir un nanomédicament innovant dans le glioblastome. Cette tumeur cérébrale très agressive ne dispose pas en effet de traitement efficace aujourd’hui et le pronostic des patients est très sombre. Dans l’optique d’un traitement alternatif, nous avons imaginé un nanovecteur biomimétique. Il est constitué de motifs d’élastine, une protéine naturellement présente dans la peau, qui lui confère son élasticité et qui est « neutre », sans autre fonction biologique. Ses avantages : elle est biocompatible, biodégradable, stable et non-immunogène (elle ne provoque pas de réaction immunitaire). L’originalité est de greffer sur cette structure une substance chimique qui, une fois activée par la lumière ou les rayons X, devient toxique. Ici pas de molécule thérapeutique encapsulée donc, c’est le vecteur lui-même qui, arrivé sur le site de la tumeur, devient toxique à la demande.
Nos premiers tests sur des cellules tumorales en culture montrent bien une toxicité ciblée induite par la lumière. Nous confirmerons cet effet ensuite sur des organoïdes, modèles en 3D qui reproduisent l’environnement complexe d’une tumeur, avant de passer aux essais précliniques chez la souris. Cette nanothérapie transférable en clinique rapidement, entre 5 à 10 ans, consisterait à appliquer directement nos nanoparticules thérapeutiques localement sous forme d’un dépôt après résection chirurgicale de la tumeur. Avec leur diffusion dans les tissus, nous espérons ainsi détruire les cellules tumorales infiltrées, responsables des rechutes. »
Par le Pr Xavier Jouven, cardiologue à l’Hôpital européen Georges Pompidou, co-responsable de l’équipe de recherche « Épidémiologie intégrative des maladies cardiovasculaires » au Paris Centre de Recherche Cardiovasculaire (PARCC, Inserm U970/Université Paris Cité/Institut des Sciences cardiovasculaires).
« Chaque année en France environ 40 000 personnes sont victimes de mort subite - un arrêt cardiaque imprévisible et le plus souvent inexpliqué -, soit une victime toutes les 10 minutes. Avec un pronostic qui reste sombre, puisque 7 % à peine des personnes y survivent. Avec mon équipe, nous nous consacrons depuis 30 ans à comprendre ce phénomène et à tenter d’en découvrir les signaux annonciateurs pour parvenir à faire de la prévention. Et depuis une dizaine d’années nous nous attachons à développer l’intelligence artificielle (IA) dans cette optique.
Nous disposons actuellement des données structurées de 350 000 individus, dont 50 000 ayant eu un arrêt cardiaque. Et ce qui s’avère particulièrement informatif, c’est qu’il s’agit de données de suivi des patients sur une durée de 14 ans avant la survenue de la mort subite. Pour chacun, nous avons créé un « jumeau » numérique, composé de 10 puissance 30 000 informations médicales (à titre de comparaison, 10 puissance 9 signifie déjà un milliard) !
Notre objectif aujourd’hui est d’établir un profil de risque individuel pour la mort subite, associé aux facteurs en cause identifiés par nos algorithmes d’IA et classés par ordre d’importance. À ce jour nous sommes déjà capables d’identifier des personnes à très haut risque de mort subite dans l’année (au-delà de 90 %). Les premières validations indiquent que nos données sont robustes.
D’ici à 5 ans notre projet devrait être bien avancé et nous pourrons commencer à envisager des campagnes de dépistage en population générale. Les personnes identifiées comme étant à risque pourront ainsi bénéficier d’une prévention personnalisée, une avancée pionnière en santé publique ! »
Par Luc Estebanez, chargé de recherche au CNRS et responsable de projet dans l’équipe de Daniel Shulz. Il co-encadre, avec Valérie Ego-Stengel, les travaux de doctorat d’Henri Lassagne. Daniel Shulz est directeur de recherche au CNRS, à la tête du département de Neurosciences Intégratives & Computationnelles (ICN) et responsable de l’équipe « Traitement sensorimoteur et plasticité » à l’Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI, CNRS UMR 9197 /Université Paris-Saclay). Ce projet est soutenu par le Fonds Handicap & Société.
« Notre équipe s’attache à optimiser une interface cerveau-machine (ICM) en améliorant le retour sensoriel provenant d’une prothèse commandée par le cerveau. Notre approche est basée sur la plasticité du cerveau, qui peut être entraîné à commander un bras robotisé. Mais pour un contrôle précis du mouvement, il faut au cerveau un retour sensoriel en temps réel.
Ce sont les paramètres de ce retour que nous tentons de définir : quel type d’information faire parvenir au cerveau, quel est le délai optimal et dans quelle zone cérébrale précise l’envoyer pour que l’animal s’approprie la prothèse ? Afin de contrôler très finement ce retour sensoriel, nous avons choisi l’optogénétique : une technique qui permet d’activer directement (sans passer par la périphérie tactile) et très précisément dans le temps certains neurones dans des zones choisies du cerveau grâce à la lumière. Et ça fonctionne ! Lors de l’utilisation de la prothèse, nous parvenons à mimer un retour sensoriel aussi rapide que l’information naturelle, soit quelques dizaines de millisecondes, ce qui permet un contrôle amélioré de la prothèse. Ce retour peut même être appliqué plus rapidement, en quelques millisecondes seulement. Ainsi, nous étudions actuellement comment le cerveau intègre cette information et maîtrise l’apprentissage de la prothèse en fonction du délai entre le mouvement et le retour sensoriel.
Ces travaux sont précurseurs et l’outil développé est unique au monde. Nos résultats sont autant d’éléments qui contribuent aux améliorations des ICM déjà utilisées et qui, dans les décennies à venir, permettront d’aller plus loin pour remédier à des handicaps moteurs et sensoriels lourds. »
La recherche médicale permet chaque jour à des milliers de personnes de gagner en espérance de vie. En intensité de vie. En moments de vie.
Si nous vivons en meilleure santé et plus longtemps, c’est grâce à des chercheurs d’excellence qui innovent chaque jour pour sauver des vies. Car à l’origine d’une piste thérapeutique innovante, il y a toujours la vision d’un chercheur.