Grâce aux progrès de l’imagerie médicale, des chercheurs étudient le cerveau de très jeunes bébés.
L’objectif est double : comprendre comment se déroule un développement cérébral normal, mais aussi identifier des marqueurs de troubles du neurodéveloppement.
C’est une particularité surprenante : chez l’humain, une part importante de la croissance et de la maturation du cerveau a lieu après la naissance alors que chez les autres primates, tout se passe durant les derniers mois de grossesse. En moins de deux ans, le volume du cerveau d’un bébé est ainsi multiplié par trois !
« C’est durant ce développement précoce (grossesse et premiers mois de vie) que se mettent en place les grands réseaux fonctionnels, ainsi que les voies de communication entre les différentes régions du cerveau, explique Jessica Dubois, chercheur au centre NeuroSpin (CEA, Saclay). Étudier le développement du cerveau d’un bébé, c’est comprendre comment il va être capable par la suite d’assurer des fonctions cognitives comme le langage, par exemple. »
Les chercheurs s’intéressent ainsi à la formidable plasticité cérébrale* des bébés, c’est-à-dire à la capacité de leur cerveau à se réorganiser pour acquérir de nouvelles capacités. Ces études sont aussi l’occasion « de comprendre comment certaines pathologies du neurodéveloppement qui se manifesteront plus tard, tel le trouble du spectre autistique (TSA) par exemple, pourraient être décelées dès les premiers mois de la vie, bien avant que n’apparaissent les premiers symptômes. »
Ils sont divers et évoluent au gré des progrès technologiques. Il y a d’abord l’observation du comportement des bébés, par exemple la mesure du taux de succion, du temps de regard soutenu, de la dilatation des pupilles, etc. Ce sont des indices indirects des capacités du bébé et de l’activité de son cerveau. Facile d’utilisation, l’électroencéphalogramme (EEG), qui se pratique en plaçant des électrodes à la surface du crâne, permet d’enregistrer l’activité électrique du cerveau et de mesurer les variations existantes entre un cerveau au repos et lorsque le bébé exerce une activité passive (écoute de sons, observation d’images, etc.). Mais ces observations manquent de précisions spatiales. Depuis une quinzaine d’années, l’outil par excellence pour observer le cerveau est l’IRM qui permet « d’étudier finement les structures anatomiques du cerveau, leur développement et leur maturation, mais aussi leur activité en direct ainsi que les voies de communication qui les relient, précise Jessica Dubois. L’IRM fournit directement des images et des mesures quantitatives, à condition d’avoir des programmes informatiques adaptés au décodage des signaux enregistrés sur le cerveau d’un bébé, dont les caractéristiques sont différentes de celles d’un cerveau adulte. »
Les études par IRM ont permis de confirmer ce que l’on savait déjà en partie : chez le bébé, il existe des structures anatomiques bien distinctes, des régions cérébrales aux fonctions différentes. Notamment, les zones dédiées au traitement du langage sont repérables dès l’âge de deux mois, et celle liée à la reconnaissance des visages, vers quatre mois. « Ce que l’on peut aussi observer, ce sont des différences de maturation entre les régions cérébrales, notamment l’âge auquel la maturation débute et l’intervalle d’âge sur lequel elle s’étend », détaille Jessica Dubois. Ce qui reflète d’ailleurs le développement normal d’un enfant, qui va d’abord apprendre à marcher, puis à parler. « Par ailleurs, si tout ou presque est déjà en place à la naissance, ce sont les connexions entre ces différentes régions qui se modifient et maturent considérablement pendant les premiers mois, probablement sous l’influence de l’environnement. » La précision de l’IRM permet de quantifier ces paramètres et de les étudier au regard du développement comportemental des enfants.
Certaines situations – comme une naissance prématurée, un défaut d’oxygénation du cerveau lors de la naissance, un accident vasculaire cérébral chez le nouveau-né ou une exposition prénatale à l’alcool – peuvent conduire à des perturbations du développement cérébral, avec des conséquences plus ou moins lourdes sur le développement cognitif et moteur de l’enfant. En collaboration avec des équipes hospitalières, les chercheurs de NeuroSpin travaillent sur de telles pathologies pour comprendre comment ces événements précoces affectent le développement du cerveau, et comment celui-ci est parfois capable de s’en remettre grâce à son extrême plasticité. L’objectif est aussi de pouvoir déceler des indices quant au développement futur des enfants, et ainsi adapter la prise en charge thérapeutique (kinésithérapie, orthophonie…). Certaines équipes imaginent par ailleurs pouvoir stimuler cette plasticité cérébrale à l’aide d’interventions comportementales ou de médicaments, notamment.
PLASTICITÉ CÉRÉBRALE : capacité du cerveau à remodeler ses connexions en fonction de l’environnement et des expériences vécues par un individu.
IRM : technique d’imagerie utilisant les propriétés de résonance magnétique nucléaire. Cet examen permet de visualiser avec une grande précision les organes et tissus mous dans différents plans de l’espace ou en 3 dimensions.