Mis à jour le 21 juillet 2023

Regards croisés : recherche médicale, peut-on prévenir tous les conflits d'intérêts ?

Il y a dix ans, la loi donnait une définition juridique aux conflits d’intérêts. Son objectif : limiter les interférences de nature à influencer l’exercice d’une fonction. Aujourd’hui, de nombreux organismes, publics comme privés, se sont dotés de dispositifs pour tenter de gérer ces conflits d’intérêts. Mais cela suffit-il ?

Points de vue de deux experts sur cette question.

Marie-Angèle Hermitte

Docteure en droit, directricede recherche honoraire (CNRS et EHESS).

OUI, MAIS

Il faut distinguer lien et conflit d’intérêts, et ne pas s’arrêter à l’aspect financier. Un chercheur peut avoir des liens financiers avec un partenaire privé, c’est même fréquent, mais il peut aussi avoir par exemple des liens amicaux ou familiaux dans son domaine professionnel. Ces liens deviennent des conflits d’intérêts s’ils influencent ou paraissent influencer la conduite de ses travaux, s’ils l’amènent à favoriser ou au contraire désavantager un autre chercheur ou des résultats de recherche, de façon délibérée ou non. Concrètement, lorsqu’au nom d’un droit de regard, un financeur privé se prononce sur des activités ou des travaux de recherche, sur la publication ou non de leurs résultats, on est clairement dans le conflit d’intérêts. Certes, de nombreux organismes de recherche se sont dotés de guides de bonnes pratiques mais cela ne garantit pas l’absence de tout conflit d’intérêts. Notamment parce que ces guides sont très hétérogènes d’une institution à une autre. Par ailleurs, et c’est aujourd’hui encore mal pris en compte et donc trop peu considéré, il existe aussi des liens et donc de possibles conflits d’intérêts d’ordre corporatiste. Lorsqu’un chercheur a une activité d’expertise pour une agence sanitaire et qu’il est également membre d’un syndicat ou d’une association professionnelle, il y a un lien et donc un potentiel conflit d’intérêts. À ce jour, il est difficile de trouver des experts indépendants, mais peut-être qu’on ne cherche pas assez ! Trop souvent, la facilité consiste à choisir les personnes les plus visibles. Or, c’est bien souvent celles qui ont noué le plus de partenariats et donc de liens d’intérêts. Pour lutter contre les conflits d’intérêts, il faut s’en donner les moyens et, d’une certaine manière, le vouloir. Certes, tout ce qui touche aux financements est désormais relativement bien surveillé et cela avance dans le bon sens, mais tout reste à faire concernant les conflits d’intérêts institutionnels et intellectuels.

Henri Atlan

Médecin biologiste et philosophe, directeur de recherche honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris).

OUI

De nombreux conflits d’intérêts manifestes sont aujourd’hui évités grâce à des procédures adaptées au sein des organismes de recherche. Certaines situations sont moins évidentes, lorsque par exemple interviennent les services de relations médias d’organismes de recherche publics. Ils ont pour mission de médiatiser les travaux de leurs équipes, et cela se fait parfois au prix d’une information tout à fait orientée. Je ne suis pas sûr que l’on soit en mesure de lutter contre ces conflits d’intérêts qui sont en réalité des problèmes d’intégrité scientifique. La loi de programmation de la recherche définit celle-ci comme l’ensemble des valeurs et des règles qui garantissent l’honnêteté et la rigueur de la recherche scientifique, ce qui donne un encadrement juridique aux activités de recherche. Il y a certainement beaucoup de petits arrangements avec la vérité qui sont liés à des liens ou des conflits d’intérêts, que cela soit conscient ou pas d’ailleurs. Certains chercheurs et experts ignorent qu’ils ont des liens d’intérêts, et ce en toute bonne foi ! C’est un sujet sur lequel il faut les amener à réfléchir beaucoup plus tôt dans leur carrière, de même qu’ils ne doivent pas confondre information et communication quand ils rendent compte des résultats de leurs travaux.

Regards croisés

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