Mis à jour le 2 août 2022

Regards croisés : la recherche biomédicale française est-elle en perte de vitesse ?

En février 2021, un rapport de l’Observatoire des sciences et techniques a rappelé que, si la France fait encore partie des pays les plus actifs en recherche (2,8 % de la production mondiale de publications scientifiques alors qu’elle ne représente que 1 % de la population mondiale), notre position s’érode de plus en plus. Nous serions même en passe de sortir du top 10 des pays les plus actifs.

Points de vue de deux experts.

Antoine Triller

Neurobiologiste, directeur de recherche émérite à l’Institut de biologie de l’École normale supérieure (Paris), secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences

OUI, MAIS

C’est indéniable et ce, pour différentes raisons. D’abord, il y a un vrai manque de considération pour les chercheurs dans notre pays. La mesure en est le niveau de rémunération : aujourd’hui en France, les jeunes chercheurs et chercheuses sont recrutés vers 30-35 ans pour un salaire mensuel de 1 800 à 2 200 euros. Il est parfaitement normal que bon nombre d’entre eux préfèrent dès lors partir à l’étranger ou dans le privé. Par ailleurs, alors qu’en 2000 la Stratégie de Lisbonne pour la recherche européenne avait fixé à 3 % du PIB les objectifs de financement, la France n’y consacre aujourd’hui que 2,1 % contre 3 % pour nos voisins allemands. Si on enlève les efforts industriels et le crédit impôt recherche, l’effort de l’État lui-même n’est que de 0,8 % du PIB. Heureusement que l’on peut compter sur des fondations comme la FRM et des financements européens ! Et puis il y a ce mille-feuille administratif : trop d’institutions, trop de rapports d’activité, trop de dossiers à remplir. C’est un véritable gâchis car nous formons de très bons étudiants. Mais la culture scientifique n’a pas été intégrée à la culture générale, c’est une véritable « agnosie ». La plupart des femmes et hommes politiques sont les premiers affectés par cet aveuglement. Ces handicaps conduisent à un manque global d’attractivité et malgré tout, la recherche française ne va pas si mal grâce à quelques centres d’excellence. Finalement, indépendamment de réformes structurelles importantes nécessaires, on peut dire que la recherche en biologie manque vraiment de reconnaissance et de soutien.

Bruno Lemaitre

Immunologiste français, professeur et directeur de l’Institut d’infectiologie à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse)

OUI

Il y a sans aucun doute une perte de vitesse de la recherche biomédicale française depuis une quinzaine d’années. Certes, elle a gagné en productivité, mais moins efficacement que les autres pays. La France peine par exemple à avoir des chercheurs reconnus internationalement, et aussi à attirer des talents étrangers : le système français manque d’attractivité dans un contexte extrêmement compétitif. Parmi les causes de cette perte de vitesse, il y a surtout son soi-disant « modèle » d’organisation. Le système est complexe et peu lisible de l’extérieur. En refusant par exemple certaines réformes de l’université ou un alignement sur le modèle anglo-saxon, on manque d’autonomie et de souplesse. Le principe de recrutement sur concours et de commissions de financement est aussi beaucoup trop centralisé. Enfin, le système de poste permanent accordé très tôt à de jeunes chercheurs ne favorise pas la quête de l’excellence. Le pays ignore les ressorts psychologiques de la réussite en science. Les découvertes sont une conséquence de la passion, dont le moteur est la reconnaissance. Savoir attirer ou garder les chercheurs les plus reconnus est vital pour un pays. Globalement, il y a en France trop de chercheurs qui ne sont que moyennement investis dans leurs travaux. C’est vraiment dommage parce qu’il existe une bonne tradition scientifique dans le pays, une bonne formation des étudiants et un bon terreau de recherche fondamentale. D’ailleurs, quelques laboratoires et institutions semi-privées parviennent à très bien tirer leur épingle du jeu au niveau international.

Regards croisés

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