Si la vaccination fait beaucoup parler d’elle, la recherche de traitements capables de lutter contre le Sars-CoV2, le virus à l’origine de la Covid19, reste très active. En octobre 2020, le projet Cyclo-CoV, soutenu par la FRM, livrait ses résultats : les chercheurs ont montré qu’une molécule, l’alisporivir, avait une action antivirale sur des cellules infectées en culture.
Sur la base de ces données prometteuses, ils conduisent aujourd’hui un essai clinique de phase 2 afin de tester l’efficacité et la tolérance de l’alisporivir chez des patients atteints de la Covid19 : le Pr Jean-Michel Pawlotsky, à la tête de l’équipe « Virus, Hépatologie, Cancer » de l’Institut de Recherche Biomédicale Mondor et Directeur du Département de Biologie et Pathologie des Hôpitaux Universitaires Henri Mondor (AP-HP), fait le point avec nous.
Le projet Cyclo-CoV est mené par l’équipe « Virus, Hépatologie, Cancer » de Jean-Michel Pawlotsky et Abdelhakim Ahmed-Belkacem à l’Institut Mondor de Recherche Biomédicale (INSERM U955), Créteil.
Pouvez-vous revenir sur le projet Cyclo-CoV et sur ses résultats qui ont conduit à la mise en place d’un essai clinique ?
Jean-Michel Pawlotsky : « Le projet Cyclo-CoV, soutenu par la Fondation pour la Recherche Médicale dans le cadre de l’appel à projet « ANR-Flash », avait pour objectif de développer de nouveaux médicaments antiviraux efficaces contre le Sars-Cov2, le virus à l’origine de la Covid-19.
Nous nous sommes ainsi intéressés à une famille de molécules, les « inhibiteurs de cyclophilines », qui avait montré des effets antiviraux contre certains coronavirus isolés précédemment. Plus particulièrement, nous nous sommes penchés sur l’effet de l’une de ces molécules, l’alisporivir, initialement développée dans le cadre de la lutte contre l’hépatite C. Au terme de notre travail, nous avons montré que l’alisporivir avait effectivement un effet antiviral assez puissant contre le Sars-Cov-2 au sein de cellules en culture.
D’autres données sont venues renforcer ce résultat, obtenu très tôt au cours de l’épidémie : des informations recueillies au cours d’expériences in vitro réalisées par d’autres équipes, ainsi que des arguments indirects in vivo issus de la littérature. L’ensemble justifiait de mettre en place un essai clinique.
Pouvez-vous nous parler de l’essai clinique que vous avez récemment initié ?
J-M P : « Sur cette base, nous avons monté l’essai clinique ouvert de phase 2 CYCLOVID visant à évaluer l’efficacité et la tolérance de l’alisporivir chez des patients atteints de la Covid-19. Son promoteur est l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
Cet essai concerne essentiellement des malades qui présentent des formes relativement sévères de la Covid-19 : ils nécessitent une hospitalisation, n’ont pas recours à la ventilation et ne présentent pas de détresse respiratoire aigüe. Nous sommes aussi en train de l’ouvrir à des patients qui reçoivent des soins en ambulatoire.
En tout, 81 malades issus de différents centres hospitaliers français seront inclus : deux tiers d’entre eux recevront l’alisporivir et un tiers aura la prise en charge « standard » de la pathologie. Deux objectifs sont visés au cours de cet essai. Le critère principal est d’évaluer l’effet de l’alisporivir sur la charge virale des patients, reflet de son action sur la multiplication du virus. Les objectifs secondaires sont des critères « cliniques » classiques. Il s’agira notamment d’observer l’action de l’alisporivir sur le recours à l’oxygénothérapie, sur l’évolution de l’état des patients, sur leur passage en service de réanimation… ».
Comment l’alisporivir agirait-il au cours de l’infection ?
J-M P : « Tout d’abord, l’alisporivir a un effet antiviral direct : il empêche la réplication du virus en bloquant son cycle au sein des cellules. Mais la molécule pourrait également agir en protégeant directement les cellules pulmonaires, les cibles du Sars-Cov2.
En effet, on sait qu’un type de cyclophiline, la cyclophiline D, peut avoir une action néfaste dans les cellules soumises à une agression. Le mécanisme est le suivant : la cyclophiline D est présente à la surface des mitochondries, les petites structures à l’intérieur des cellules qui produisent l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. A la suite d’une agression comme une infection, la cyclophiline D est impliquée dans l’augmentation de la perméabilité des mitochondries : leur contenu se déverse alors dans les cellules, ce qui peut induire leur mort.
L’alisporivir, en bloquant la cyclophiline D, inhibe ce mécanisme. Cet effet a été démontré dans divers modèles cellulaires provenant d’organes comme le foie, le cœur ou le rein. Pour le moment, il n’y a pas de données sur les cellules pulmonaires, mais il n’y a pas de raison que cet effet protecteur ne soit pas retrouvé. »
Si les résultats de cet essai sont positifs, l’alisporivir constituerait-il un traitement précoce ou plutôt tardif de l’infection ?
J-M P : « Nous n’aurons la réponse à cette question qu’au terme de l’essai. En effet, si l’effet de la molécule est principalement de faire baisser la charge virale chez les patients, son indication serait plutôt en phase précoce de la Covid-19. En revanche, si c’est son action de « protection cellulaire » qui ressort, l’alisporivir serait plutôt destinée à être prescrit aux stades plus avancés. »
Pour conclure, vous travaillez également sur d’autres molécules antivirales dans le cadre de votre projet : avez-vous obtenu des résultats intéressants ?
J-M P : « Nous travaillons en effet en parallèle sur une nouvelle famille d'inhibiteurs de cyclophilines dits « non peptidiques de petite taille ». L’idée est de développer des molécules qui ont une action antivirale « à large spectre », c’est-à-dire actives contre différentes variétés de virus. Nous avons démontré in vitro une efficacité de ces molécules non seulement contre les coronavirus, mais également contre des virus d’autres familles. Nous avons été sélectionnés au cours de l’appel à projet « équipe FRM 2020 » pour poursuivre ces études qui pourraient permettre des avancées prometteuses pour le futur. »