FRM : Quel est l’âge des patients au moment du diagnostic de la maladie d’Alzheimer ?
Florence Pasquier : L’âge moyen des patients Alzheimer au moment du diagnostic est de 70 ans et tendrait même à s’approcher des 75 ans, contre 65 ans il y a 20 ans. La maladie se révèle plus tard qu’autrefois et c’est une bonne nouvelle ! Nous le constatons chez nos patients dans la consultation mémoire de Lille. Mais comme la fréquence de la maladie augmente avec l’âge et que le nombre de personnes âgées s’accroît, le nombre de cas de malades aussi.
FRM : Connaît-on les raisons du recul de l’âge d’entrée dans la maladie ?
FP : Avant tout parce que les gens sont de plus en plus instruits et ont des activités cognitives plus importantes au cours de leur vie. On sait aussi qu’en corrigeant certains facteurs de risque, on repousse l’apparition des symptômes. C’est principalement le cas des facteurs de risque cardiovasculaires comme l’hypertension artérielle, des problèmes d’audition, des traumatismes crâniens — même ceux de l’enfance au foot ou à la boxe—, de l’alcool, du tabac, ou encore de la pollution de l’air. D’autres facteurs sont protecteurs comme l’activité physique et les liens sociaux. On peut dire aujourd’hui que la prévention est efficace !
FRM : Y a-t-il des cas héréditaires de maladie d’Alzheimer ?
FP : Oui, 1 % des cas sont héréditaires, avec une transmission autosomique dominante due à un gène muté. Cela signifie que lorsqu’un des parents a ce gène muté, il a 50 % de risque de le transmettre à sa descendance. Dans ce cas, la moitié de la famille est touchée et à des âges précoces, avant 65 ans.
Les principaux gènes connus sont PS1, PS2 et APP.
Dans les autres cas de maladie d’Alzheimer, non héréditaires, la maladie n’est pas clairement transmissible, mais il existe des facteurs de susceptibilité génétiques qui vont augmenter ou réduire le risque de développer une maladie d’Alzheimer. On connaît maintenant plus de 80 gènes pouvant influencer la survenue de la maladie et c’est probablement une accumulation de ces facteurs de susceptibilité génétiques, en association avec des facteurs environnementaux, qui provoque le développement de la maladie.
FRM : En cas de doute, à partir de quand faut-il consulter un spécialiste ?
FP : Dès qu’on s’inquiète, le mieux est de consulter son médecin traitant qui pourra orienter vers un centre mémoire, un neurologue ou un gériatre. S’il n’y a rien, c’est une façon de se rassurer. Les oublis peuvent s’expliquer, sans que ce soit une maladie d’Alzheimer : une fatigue, un mauvais sommeil, une apnée du sommeil, une carence en vitamines…
Les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer sont souvent une plainte de mémoire, mais il ne faut pas oublier que d’autres symptômes peuvent être inauguraux. Ça peut être des difficultés visio-spatiales, et dans ce cas, la personne se perd plus facilement, appréhende mal la distance des objets et la hauteur des marches par exemple. Il peut aussi y avoir des formes langagières inaugurales, la personne oublie le sens des mots, ne trouve pas le mot juste. La maladie peut aussi se révéler par des difficultés à s’organiser pour mener une action : la personne malade perd le chef d’orchestre dans le cerveau, celui qui organise ce qu’on a à faire.
FRM : Comment prend-on en charge les patients ?
FP : Ce n’est pas une maladie galopante, c’est une maladie à évolution très lente. Les lésions s’installent progressivement dans le cerveau qui compense pendant une à deux dizaines d’années. Après une première consultation, pour une plainte de mémoire, un patient peut être stable plusieurs années, surtout quand le patient a consulté tôt et qu’on commence la prise en charge rapidement. Parfois on ne voit pas un patient stabilisé pendant 10 à 15 ans.
Il est essentiel d’intégrer le patient dans la prise en charge, et de lui faire comprendre ce qu’on leur propose. Le diagnostic est difficile à annoncer mais on peut s’appuyer sur des facteurs positifs. Déjà on peut mettre en place les mesures de protection qui vont ralentir l’évolution de la maladie, comme des mesures d’hygiène de vie, des activités sociales, une prise en charge orthophonique si besoin.
Il existe des médicaments qui agissent sur les symptômes. Ils sont malheureusement déremboursés en France mais ils ont une efficacité. Ils agissent sur l’acétylcholine, un neuromédiateur qui est important notamment pour la motivation, les troubles de l’attention et la mémoire. Les personnes qui sont sous traitement sont stables plus longtemps, ça se compte en mois, voire en années. Mais ces traitements n’agissent pas sur les lésions cérébrales. Ces traitements coûtent entre 10 et 20 euros par mois.
FRM : Quelles avancées sont prometteuses en termes de recherche ?
FP : Des découvertes remarquables ont été faites récemment. On a réussi à identifier de nouveaux mécanismes comme l’immunité et l’inflammation, impliqués dans la maladie d’Alzheimer, et sur lesquels on pourrait agir pour que la maladie évolue moins vite.
La piste de la cascade amyloïde qui repose sur les deux types de lésions cérébrales observées chez les patients Alzheimer continue à être explorée. Pour preuve le traitement, l’aducanumab, qui vient d’être approuvé aux Etats-Unis par la FDA, l'autorité en charge du contrôle des aliments et des médicaments.
Au niveau clinique, on a récemment appris que la maladie d’Alzheimer a des copies conformes avec d’autres maladies, comme les dégénérescences lobaires fronto-temporales. Ce sont des maladies rares qui peuvent aussi s’exprimer avec des troubles de mémoire au premier plan les premières années. Cette découverte est importante car pendant des années on a pu inclure, dans les essais thérapeutiques, des patients qui n’avaient pas la maladie d’Alzheimer, ce qui a pu fausser les résultats. Ce sera maintenant plus facile de repérer un médicament actif.
FRM : Un nouveau traitement vient justement d’être approuvé aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il ?
FP : L’aducanumab est un traitement qui vise à diminuer la charge amyloïde dans le cerveau. Cela part d’un postulat. Chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, il y a deux types de lésions cérébrales, constitués d’agrégats de protéines : les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires. Schématiquement, on sait que les plaques amyloïdes se forment très tôt dans le cerveau, bien avant que la dégénérescence neurofibrillaire ne s’étende dans le cerveau. Elles sont toxiques, cela paraît donc logique d’essayer de les retirer du cerveau avant que la maladie se déclenche. Toutefois c’est la dégénérescence neurofibrillaire qui est corrélée aux symptômes de la maladie. L’aducanumab est un anticorps qui nettoie clairement le cerveau des plaques amyloïdes. Les études cliniques ont duré 18 mois, ce qui est long mais peut-être pas suffisant à l’échelle de l’évolution de la maladie pour voir si ça retentit sur les symptômes. Et c’est la première fois qu’on donne une autorisation de mise sur le marché pour un médicament qui agit sur les mécanismes et qui n’a pas encore montré son efficacité sur les symptômes.
FRM : D’après vous, avec quel type de traitement pourra-t-on vaincre la maladie d’Alzheimer ?
FP : Idéalement, il faudrait supprimer la dégénérescence neurofibrillaire, car c’est elle qui entraîne la mort des neurones.
Au final, pour traiter la maladie d’Alzheimer, il faudra probablement combiner les médicaments, on agira sûrement sur plusieurs mécanismes en même temps. Pour la trithérapie du sida, on s’est aperçu que l’association de médicaments potentialisait énormément les premiers traitements.
Je suis sûre qu’on va y arriver si tout le monde unit ses forces, on avance bien, et je reste optimiste. Mais cela aura pris plus de temps que je ne pensais…