Yves Agid,
professeur Émérite à l’université Pierre et Marie Curie,
membre de l’Académie des sciences,
membre fondateur de l’institut du Cerveau et de la moelle épinière (ICM),
est un spécialiste de l’étude des maladies neurodégénératives.

Comment comprendre les mécanismes, et donc envisager une thérapeutique pour les maladies dégénératives du cerveau si on ne sait pas ce qu’est un cerveau, si on ne connaît pas son fonctionnement ? Aujourd’hui, c’est possible car on commence à savoir comment le cerveau fonctionne, et comment il dysfonctionne. Même si c’est encore l’aube du Moyen Âge… Pourquoi ? À cause de sa complexité.

La complexité du système nerveux
Le cerveau de l’homme, cette masse gélatineuse, pèse un peu moins de trois livres. Sa complexité dépasse, en effet, l’imagination : 85 milliards de neurones, encore plus d’autres cellules nerveuses appelées « gliales » (les astrocytes, les oligodendrocytes à l’origine de la myéline, et la microglie), près de 600 km de minuscules vaisseaux capillaires, etc. Surtout, c’est une « machine » vivante qui ressent, qui pense, qui agit. Comment cette chose matérielle produit-elle de la pensée qui, jusqu’à preuve du contraire, est immatérielle ? Comment, lorsqu’il est malade, le cerveau produit des mouvements, des émotions, et des raisonnements anormaux ? Le cerveau comprend une partie ancienne, le tronc cérébral (qui gère les fonctions réflexes comme la respiration et la pression artérielle), une partie plus récente, les noyaux gris centraux (qui joue un rôle primordial pour l’ensemble des comportements automatiques) et une partie toute récente à sa périphérie, le cortex cérébral (qui gère l’essentiel des comportements non-automatiques). Ce cerveau est en quelque sorte en « dérivation » sur l’environnement, avec une partie postérieure qui perçoit (la vision par exemple), une partie antérieure qui agit (qui assure le comportement moteur, reflétant l’intellect et les émotions), et un tout qui traite ces informations.

Du cerveau aux maladies neurodégénératives

Quelles sont les maladies qui provoquent un dysfonctionnement du système nerveux et plus particulièrement du cerveau ? Pour simplifier, certaines intéressent le cortex cérébral (maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale), d’autres les noyaux gris centraux (maladie de Parkinson, maladie de Huntington), d’autres enfin le cervelet (ataxie cérébelleuse), la moelle épinière (sclérose latérale amyotrophique (SLA)), et les nerfs périphériques (maladie de Charcot–Marie–Tooth). Certaines de ces maladies sont communes aux autres organes du corps : les tumeurs, les abcès, les accidents vasculaires… Les autres, propres au cerveau, sont les maladies neurodégénératives, à l’origine d’un vieillissement prématuré de certains circuits de neurones. Au cours d’une maladie neurodégénérative, la souffrance neuronale est sélective, intéressant des populations réduites de neurones ; elle est aussi plus rapide que dans le vieillissement normal.

A priori, la distinction entre vieillissement normal et maladie neurodégénérative est aisée, avec donc des causes, des stigmates histo-pathologiques spécifiques, des mécanismes moléculaires différents.

En pratique, hormis les cas évidents (par exemple maladies d’Alzheimer ou maladies de Parkinson familiales), cette distinction n’est pas toujours claire.

C’est ainsi que les signes histologiques de ces maladies sont observés, certes a minima et dans des aires cérébrales différentes, chez les personnes très âgées. De plus, les tableaux cliniques et l’évolutivité de ces affections sont variables d’un sujet à l’autre, avec probablement des mécanismes différents pour chacun des sous-types de ces maladies.

L’abondance et la qualité des recherches actuelles permettent, cependant, déjà de reconnaître les diverses mutations et autres anomalies moléculaires responsables de ces différents phénotypes de maladie neurodégénérative. Comment ?

Les grandes voies de recherche pour l’avenir
  1. Quand on parle de progrès en neurosciences, on évoque toute suite la neuro-imagerie. Indiscutablement, la possibilité d’utiliser des scanners de plus en plus performants, des I.R.M. ultra-puissantes, et la caméra à positons, permet d’évaluer avec précision la topographie, le volume, et même la biochimie de différentes aires cérébrales.
    C’est sans doute l’I.R.M. fonctionnelle qui apporte les renseignements les plus pertinents pour apprécier les multiples fonctions motrices, intellectuelles, émotionnelles de l’homme normal et malade, en montrant les activations et les inhibitions d’activité cérébrale dans des aires restreintes du cerveau.
    Cependant, les interprétations sont parfois difficiles et le degré de discrimination est réduit, ne permettant pas chez l’homme d’évaluer les activités cellulaires. Tel n’est pas le cas chez l’animal d’expérience ou en culture cellulaire, où les méthodes de visualisation moderne permettent non seulement de distinguer les parties les plus intimes des cellules nerveuses, mais aussi d’en apprécier la dynamique (opto-génétique, microscopie électronique etc.).

  2. La neurophysiologie a fait des progrès spectaculaires au cours des dernières années en permettant, d’une part de comprendre les bases neuronales de la plupart des comportements, d’autre part de découvrir les principes qui assurent les interactions entre les myriades de connexions nerveuses dans un ensemble neuronal. Les principaux circuits de neurones altérés dans les maladies neurodégénératives sont désormais reconnus. Le développement des méthodes électrophysiologiques (cartographie, stimulation magnétique, etc.) permet d’apprécier avec précision le dysfonctionnement de toutes les parties du système nerveux. Bien plus, ces méthodes sont utilisées pour améliorer les symptômes de plusieurs de ces maladies avec comme exemple remarquable la stimulation des structures cérébrales profondes dans diverses maladies du mouvement (Parkinson, dystonie) voire même dans certaines affections neuro-psychiatriques (maladie de Gilles de la Tourette).

  3. La génétique moléculaire a permis de renouveler l’approche du traitement curatif des maladies neurodégénératives, même si, aujourd’hui, aucune d’entre elles n’est guérie. Il persiste un hiatus énorme entre la découverte d’une mutation à l’origine d’une rare maladie neurodégénérative et l’explication des divers symptômes. La raison est qu’une mutation dans un même gène peut être à l’origine de phénotypes différents, et que, à l’inverse, un phénotype apparemment identique peut résulter de diverses mutations. Des progrès considérables ont été obtenus par l’étude des formes rares de ces maladies neurodégénératives (moins de 2 % pour la maladie d’Alzheimer ; 10–15 % pour la maladie de Parkinson et la sclérose latérale amyotrophique (SLA)). Tel est moins le cas pour les formes sporadiques de ces affections, de loin les plus fréquentes, pour lesquelles, soit de multiples prédispositions génétiques, soit des facteurs environnementaux inconnus, soit les deux, sont impliqués. Étant donné la puissance des méthodes qui sont actuellement mises en œuvre, et qui ne feront que s’améliorer, des progrès sont attendus dans les années qui viennent pour mettre enfin au point des traitements préventifs et curatifs des maladies neurodégénératives. Il en est de même pour la découverte de marqueurs biologiques, indispensables pour faire un diagnostic prédictif précoce. Quant aux mécanismes biologiques à l’origine du phénomène de neuro-dégénérescence, ils sont mis en évidence en couplant les méthodes de biologie moléculaire aux disciplines de biologie cellulaire, incluant l’immunologie, la pharmacologie et la biochimie structurale.

  4. La bio–informatique est probablement l’instrument qui permettra d’analyser et de faire la synthèse de toutes les découvertes prometteuses qui s’annoncent dans ce domaine. Les travaux de recherche s’accumulent avec une telle vitesse sur l’ensemble de la terre que seuls des ordinateurs ultra-puissants permettront aux hommes de science de comprendre les anomalies pathologiques responsables et d’imaginer les traitements du futur. C’est plus particulièrement le cas pour découvrir les lois physiologiques qui permettent aux innombrables éléments cellulaires du cerveau de fonctionner pour produire un comportement, et donc de réduire ou supprimer les symptômes en cas de maladie. À quand la compréhension des interactions cellulaires pathologiques (incluant neurones et cellules gliales) et les ratés du code neural ? Il en est de même à l’échelle des mécanismes moléculaires anormaux à l’origine du phénomène de dégénérescence cellulaire. A quand le premier traitement curatif d’une maladie neurodégénérative ?

Il reste une arme dont on parle peu, et qui doit jouer un rôle primordial pour mieux comprendre les maladies neurodégénératives et prendre en charge les malades : la sémiologie, par l’écoute et l’observation, qui s’enrichit à mesure que les neurosciences progressent et qui est indispensable pour décrypter la richesse des tableaux cliniques, caractéristiques des disciplines de neurologie et de psychiatrie.

Pierre Joly, docteur en pharmacie, fut président de la Fondation pour la recherche médicale, puis président de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine. Il est l’auteur de plusieurs publications dont Les Médicaments du futur, Odile Jacob (2009).
Les droits d’auteurs du livre « La Recherche Médicale, une passion française » seront reversés à la Fondation pour la Recherche Médicale.
Le livre sort le 3 octobre 2019.
Pour le commander (18€) : rendez-vous sur lisez.com ou sur chez tous les distributeurs culturels (FNAC, Cultura, etc.)

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