Philippe Sansonetti,
microbiologiste. Professeur au Collège de France.
Titulaire de la Chaire Microbiologie et Maladies Infectieuses.

Introduction : des microbes puis des hommes.

L’espèce humaine est l’espèce animale la plus « parasitée » : 1 400 espèces microbiennes et parasitaires répertoriées (1), résultat d’une succession d’émergences consolidées à l’échelle de l’espèce.

On définit de fait comme émergente une infection nouvellement apparue ou ayant déjà existé, sous réserve de présenter soudain un profil d’accroissement rapide d’incidence ou d’extension géographique (2).

L’émergence des maladies infectieuses chez Homo sapiens peut très schématiquement se diviser en quatre grandes périodes, chacune répondant à une rupture (3).

La première rupture correspond au Néolithique (75 000 ans avant J.-C.), des populations de cueilleurs-pêcheurs-chasseurs montrent un début d’organisation socio-économique marqué par l’apparition d’une certaine sédentarité assurant la généralisation de peuplements humains de taille croissante, de la domestication et de l’agriculture, toutes conditions favorables à l’émergence de zoonoses et à leur transmission interhumaine secondaire. C’est à partir de ce contexte que s’est probablement constitué le socle de maladies infectieuses qui ont accompagné l’espèce humaine jusqu’à nos jours, en particulier la coqueluche, la tuberculose, la rougeole.

La seconde rupture survient à partir du premier siècle après J.-C. avec la progression de l’urbanisation, la succession des grandes invasions et le développement des échanges commerciaux à l’échelle du continent eurasiatique. « L’unification microbienne » à l’échelle de ce vaste continent va permettre l’expansion des maladies précédentes auxquelles vont s’ajouter de nouvelles comme la peste la variole et la lèpre.

La troisième rupture survient à partir du XVe siècle. Les conquêtes maritimes vont permettre cette fois-ci « l’unification microbienne » du Nouveau et de l’Ancien Monde. À toutes les précédentes maladies s’ajoutent le typhus, la syphilis, le choléra, sans oublier le paludisme que le commerce triangulaire exporte dans le Nouveau Monde. De ces trois ruptures on voit apparaître les moteurs de l’émergence infectieuse qui sont certes microbiologiques, mais aussi anthropologiques et écologiques, on voit aussi le rôle des grandes explorations et des échanges commerciaux dans l’expansion des « bassins » originaux de chacune de ces maladies. Il n’y a donc rien de bien nouveau dans la mécanistique de l’émergence, si ce n’est plus récemment son accélération.

La quatrième rupture survient à partir du milieu du XIXe siècle, elle est complexe et accompagne le développement de « l’anthropocène », main mise d’Homo sapiens sur la planète. Révolution industrielle, urbanisation galopante intensification des échanges intercontinentaux (peste, choléra, tuberculose), mais aussi dès la première moitié du XXe siècle, développement de l’hygiène, puis des vaccins et des antibiotiques qui vont bouleverser l’ordre des choses et c’est en cela que l’on peut parler de quatrième rupture. La médicalisation (encore bien partielle) va cependant accélérer les effets de l’anthropocène.

Certes les grandes maladies « du monde d’hier » vont être progressivement contrôlées, au moins dans les pays du Nord, mais l’augmentation de la population mondiale et les changements sociétaux, leur impact sur l’environnement par l’intensification de l’agriculture, de l’élevage et des échanges commerciaux, vont créer les conditions d’un renouvellement et d’une accélération des émergences et réémergences infectieuses que l’on pourrait qualifier de « maladies du monde post-moderne ».

Le temps des infections émergentes.

Charles Nicolle l’anticipait dans ses leçons au Collège de France dès les années 1920 : « Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Comment les reconnaîtrons-nous ces maladies nouvelles, comment soupçonnerons-nous leur existence avant qu’elles n’aient revêtu leur costume de symptômes ? » (4). Charles Nicolle, visionnaire, posait déjà là les questions qui allaient hanter les spécialistes, particulièrement à partir des années 1970-1980, décennie critique dans cette transition entre maladies infectieuses du « monde d’hier » et maladies infectieuses « post-modernes » qui virent quatre crises se succéder : la confirmation de l’apparition systématique de résistances bactériennes à chaque nouvel antibiotique, la première épidémie d’infection par le virus Ebola en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), la première véritable épidémie de Légionellose à Philadelphie et l’émergence du SIDA en Californie et à Haïti. Ces quelques événements historiques montraient que les émergences à venir seraient universelles, affectant le Nord comme le Sud. Ceci confirmait les prédictions de Charles Nicolle. En 2008, une revue relevait 335 maladies infectieuses émergentes entre 1940 et 2004 (5). Plusieurs faits saillants étaient relevés : une croissance régulière des événements d’émergence jusqu’à un pic dans les années 1980 (100), largement en rapport avec l’extension du SIDA. Une prédominance « paradoxale » dans les régions de hautes latitudes, mais un biais lié à une meilleure détection et à une plus grande propension à rapporter l’événement dans les pays à haut PIB. En réalité, les émergences sont largement – mais pas exclusivement – le fait des régions intertropicales. Une prédominance de zoonoses (60,3 %) dont 71.8 % transmises par la faune sauvage (VIH, Lassa, Ebola, Marburg, SRAS, MERS…). Une prédominance des bactéries biaisée par l’enregistrement des évènements majeurs de survenue de résistance aux antibiotiques comme des émergences (M. tuberculosis MDR, MRSA, entérocoques résistants à la vancomycine, etc.…).

Les années récentes montrent cependant que les virus dominent la scène de l’émergence. Il convient cependant d’insister sur le fait que les risques d’émergence ou d’exposition aux maladies émergentes sont largement partagés, globalisés, les moteurs pouvant varier selon le niveau de développement économique (6). Dans les pays à bas revenus, ce sont la concentration des populations à la périphérie des mégapoles dans des conditions d’hygiène dramatiques, de vaccination insuffisante, d’éducation défaillante et de systèmes de santé précaires ; la pollution massive de l’air urbain ou domestique - les microparticules issues de la combustion du bois représentant la première cause d’infections bactériennes pulmonaires pédiatriques ; l’invasion des zones forestières augmentant les risques de rencontre de nouveaux insectes vecteurs et animaux réservoirs porteurs d’agents infectieux (virus Ebola, Nipah), la pauvreté poussant à chasser ces animaux ou à développer une agriculture et un élevage intensifs nécessitant une déforestation massive créant de nouveaux écosystèmes instables, donc de nouvelles interfaces homme-microbes.

Dans les pays à PIB élevé, agriculture et élevage intensifs (prion), développement de la chaîne alimentaire industrielle, traçabilité des produits représentent autant de points faibles ou peuvent se glisser les micro-organismes émergents (E. coli entéro-hémorragiques, EHEC). Les environnements architecturaux complexes et leurs installations techniques sophistiquées sont aussi des points faibles possibles, surtout, si comme dans les hôpitaux y est hébergée une population fragilisée, voire immunodéprimée. Des changements écologiques peuvent aussi être impliqués comme dans le cas de l’extension et de la fragmentation forestière facilitant la prolifération des cervidés et de leurs tiques porteurs du spirochète de la maladie de Lyme.

Enfin, l’augmentation soutenue de la population de la planète, des voyages et des échanges intercontinentaux (3,3 milliards de passagers en 2014) est un moteur puissant de dissémination d’évènements d’émergence qui, en d’autres temps seraient restés confinés dans un espace limité. Il est plus difficile d’évaluer la portée du réchauffement climatique dans la dynamique de survenue des maladies émergentes. La relocalisation géographique de certaines populations vectorielles remontant vers le nord promet à l’évidence la survenue de phénomènes de cette nature.

Peut-on, sinon deviner précisément la nature des émergences infectieuses du futur dans nos régions, ou au moins anticiper les grandes lignes des problématiques attendues afin de mieux les prévenir ?

Charles Nicolle l’anticipait dans ses leçons au Collège de France dès les années 1920 : « Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire.

Comment les reconnaîtrons-nous ces maladies nouvelles, comment soupçonnerons-nous leur existence avant qu’elles n’aient revêtu leur costume de symptômes ? » (4). Charles Nicolle, visionnaire, posait déjà là les questions qui allaient hanter les spécialistes, particulièrement à partir des années 1970-1980, décennie critique dans cette transition entre maladies infectieuses du « monde d’hier » et maladies infectieuses « post-modernes » qui virent quatre crises se succéder : la confirmation de l’apparition systématique de résistances bactériennes à chaque nouvel antibiotique, la première épidémie d’infection par le virus Ebola en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), la première véritable épidémie de Légionellose à Philadelphie et l’émergence du SIDA en Californie et à Haïti. Ces quelques événements historiques montraient que les émergences à venir seraient universelles, affectant le Nord comme le Sud. Ceci confirmait les prédictions de Charles Nicolle.

En 2008, une revue relevait 335 maladies infectieuses émergentes entre 1940 et 2004 (5). Plusieurs faits saillants étaient relevés : une croissance régulière des événements d’émergence jusqu’à un pic dans les années 1980 (100), largement en rapport avec l’extension du SIDA. Une prédominance « paradoxale » dans les régions de hautes latitudes, mais un biais lié à une meilleure détection et à une plus grande propension à rapporter l’événement dans les pays à haut PIB. En réalité, les émergences sont largement – mais pas exclusivement – le fait des régions intertropicales. Une prédominance de zoonoses (60,3 %) dont 71.8 % transmises par la faune sauvage (VIH, Lassa, Ebola, Marburg, SRAS, MERS…). Une prédominance des bactéries biaisée par l’enregistrement des évènements majeurs de survenue de résistance aux antibiotiques comme des émergences (M. tuberculosis MDR, MRSA, entérocoques résistants à la vancomycine, etc.…).

Les années récentes montrent cependant que les virus dominent la scène de l’émergence. Il convient cependant d’insister sur le fait que les risques d’émergence ou d’exposition aux maladies émergentes sont largement partagés, globalisés, les moteurs pouvant varier selon le niveau de développement économique (6). Dans les pays à bas revenus, ce sont la concentration des populations à la périphérie des mégapoles dans des conditions d’hygiène dramatiques, de vaccination insuffisante, d’éducation défaillante et de systèmes de santé précaires ; la pollution massive de l’air urbain ou domestique - les microparticules issues de la combustion du bois représentant la première cause d’infections bactériennes pulmonaires pédiatriques ; l’invasion des zones forestières augmentant les risques de rencontre de nouveaux insectes vecteurs et animaux réservoirs porteurs d’agents infectieux (virus Ebola, Nipah), la pauvreté poussant à chasser ces animaux ou à développer une agriculture et un élevage intensifs nécessitant une déforestation massive créant de nouveaux écosystèmes instables, donc de nouvelles interfaces homme-microbes.

Dans les pays à PIB élevé, agriculture et élevage intensifs (prion), développement de la chaîne alimentaire industrielle, traçabilité des produits représentent autant de points faibles ou peuvent se glisser les micro-organismes émergents (E. coli entéro-hémorragiques, EHEC). Les environnements architecturaux complexes et leurs installations techniques sophistiquées sont aussi des points faibles possibles, surtout, si comme dans les hôpitaux y est hébergée une population fragilisée, voire immunodéprimée. Des changements écologiques peuvent aussi être impliqués comme dans le cas de l’extension et de la fragmentation forestière facilitant la prolifération des cervidés et de leurs tiques porteurs du spirochète de la maladie de Lyme.

Enfin, l’augmentation soutenue de la population de la planète, des voyages et des échanges intercontinentaux (3,3 milliards de passagers en 2014) est un moteur puissant de dissémination d’évènements d’émergence qui, en d’autres temps seraient restés confinés dans un espace limité. Il est plus difficile d’évaluer la portée du réchauffement climatique dans la dynamique de survenue des maladies émergentes. La relocalisation géographique de certaines populations vectorielles remontant vers le nord promet à l’évidence la survenue de phénomènes de cette nature.

Sur la base de l’ensemble de ces éléments, peut-on établir un profil de ce que seront les maladies infectieuses dans nos régions dans les décennies à venir ?

Le profil des infections de l’enfance a été considérablement modifié par la combinaison antibiotiques-vaccins, particulièrement la récente introduction des vaccins polyosidiques conjugués contre pneumocoque et H. influenzae b (Hib). Cependant, la nature a horreur du vide et l’on note déjà la montée en puissance d’infections virales, d’infections par des bactéries commensales exprimant une certaine virulence grâce aux altérations que les thérapeutiques anti-infectieuses font nécessairement subir aux microbiotes commensaux, donc à leur effet de barrière anti-infectieuse. Ce sont les « pathobiotes », des microbes se situant dans une « zone grise » entre vrais pathogènes et vrais commensaux symbiotes (11). On voit aussi apparaître, en particulier chez les pneumocoques, des sérotypes recombinants invasifs non représentés dans les vaccins disponibles (switch sérotypique). Dans un fort pourcentage de sepsis graves pédiatriques on ne trouve pas d’agent étiologique, même avec les tests diagnostiques moléculaires les plus sophistiqués. Quelles pathologies nous prépare ce monde « post-moderne » ? Une veille accrue est indispensable et fait clairement de la microbiologie une science du futur.

Le vieillissement représente l’autre pic d’incidence des maladies infectieuses. La sénescence du système immunitaire accompagne la sénescence des autres organes, le tarissement du pool de lymphocytes T naïfs capables de prendre en charge de nouveaux antigènes et l’affaiblissement des signaux de co-activation permettant une programmation efficace de la réponse immunitaire adaptative expliquent largement cette sensibilité (12). Le vieillissement global de la population fait de l’infection du sujet âgé un sujet essentiel car l’infection – par exemple la grippe – est parmi les premières causes de mortalité des plus de 65 ans. A court terme, la vaccination contre grippe et pneumocoque qui vont souvent de pair est essentielle, avec la nécessité de développer des vaccins plus immunogènes, donc plus efficaces. La colite pseudomembraneuse à C. difficile, dite « colite des antibiotiques » est un autre domaine en constante émergence touchant particulièrement les services de gérontologie et les maisons de retraite. Des approches thérapeutiques innovantes comme le transfert fécal ont été développées à cette occasion (13), sans oublier la prévention et un vaccin actuellement en essai clinique multicentrique.

Entre ces deux pics d’incidence, l’émergence est plus affaire de secteurs de la population comme les sujets immunodéprimés, en particulier par les thérapeutiques pour des maladies au long cours (maladies auto-immunes et cancer) qui sont ponctuellement victimes d’infections par des micro-organismes opportunistes inhabituels. La vaccination a aussi sa place chez la femme enceinte ou en âge de procréer illustrant la notion de « vaccination personnalisée » qui se renforce : vaccins renforcés pour les sujets immunodéprimés, vaccins contre CMV, Streptocoque B.
Les infections nosocomiales à germes multirésistants sont un autre aspect continuant d’émerger en pathologie infectieuse. Elles sont particulièrement associées à des pathogènes résistants et susceptibles de s’organiser en biofilms comme les staphylocoques, acinetobacter, P. aeruginosa et certaines entérobactéries (E. coli, K. pneumoniae). L’état de biofilms sur dispositifs invasifs et prothèses entraîne une « réfractance » aux antibiotiques et aux défenses immunitaires expliquant la robustesse et la chronicité de ces infections. Dans ce domaine, l’innovation thérapeutique et prophylactique est aussi de mise : dissolution des biofilms, approches alternatives à l’antibiothérapie comme l’utilisation de bactériophages lorsque le foyer infectieux est accessible. Se pose ici la question de la vaccination à titre préventif, mais les résultats n’ont guère été probants jusqu’à présent, particulièrement pour S. aureus (14). La sérothérapie est aussi envisagée.

L’Europe connaît enfin un régime d’émergence lié en particulier au déplacement de populations vectorielles dues à des facteurs écologiques et très probablement climatiques. Nous avons parlé de l’extension et de la fragmentation du domaine forestier, de la prolifération des cervidés, des tiques dont ils sont porteurs et de l’extension des domaines de la maladie de Lyme et de l’encéphalite à tique, les changements climatiques pouvant aussi participer à ces modifications d’écosystèmes (). Il faut aussi mentionner la rapide progression vers le nord d’Aedes albopictus (moustique tigre) et sa large capacité vectorielle. La survenue en 2015 de 7 cas autochtones de Dengue de sérotype 1 dans la banlieue de Nîmes, suite au retour d’un patient de Polynésie (16), signe la vulnérabilité de la France et plus largement des pays de l’Europe du sud à cette maladie à la prévention de laquelle l’habitat Européen est mal adapté. Avec ses terres d’outre-mer, la France doit se préparer globalement à ces émergences comme le virus Chikungunya ou Zika, les effets du réchauffement climatique sur le déplacement et la compétence des populations vectorielles devenant une priorité scientifique.

On voit donc progressivement se modifier le paysage des maladies infectieuses et monter en puissance la nécessité d’une prévention globale fondée sur une épidémiologie consolidée et diversifiée, quantitative, intégrant la modélisation mathématique de la dynamique des épidémies et qualitative, intégrant anthropologie et sociologie, les facteurs humains étant au centre du processus d’émergence, et écologie. Interventionnelle enfin, mais surtout susceptible de guider en temps réel la conduite des autorités sanitaires, voire politiques lorsque se présentent des choix cruciaux comme l’attitude face à la pandémie de grippe A H1N1 en 2009.

Nouveaux paradigmes de prise en charge des infections émergentes.

Il est intéressant de tenter de définir les nouveaux paradigmes de prise en charge et de contrôle qui se sont récemment dégagés à l’occasion d’émergences infectieuses (17). Ils concernent des pathogènes (ré)émergents dangereux (Ebola, Marburg, Nipah, SRAS, MERS, peste pulmonaire). On pourrait les résumer par la nécessité de mécanismes de coordination clairs et cohérents et d’une mobilisation sociale intensive permettant une prise en charge des malades sécurisée et humanisée. Un processus reposant sur un système performant de recherche active des cas et de suivi de leurs contacts pour couper les chaînes de transmission, soutenu par une logistique performante garantissant les conditions nécessaires de bon fonctionnement des opérations. Les mots-clés sont « coordination » et « circulation de l’information », qu’il s’agisse d’équipes, institutions, agences, nationales ou internationales. La remontée de l’ensemble des informations vers un organe coordinateur est essentielle à l’évaluation de la dynamique d’évolution de l’épidémie naissante et si possible à sa modélisation qui va permettre un certain degré d’anticipation.

La mise en place d'un programme de mobilisation sociale et d'éducation sanitaire est une phase essentielle. L’objectif principal est d’informer la population et de promouvoir les pratiques diminuant la transmission communautaire de la maladie. Ceci nécessite l’intervention d'anthropologues médicaux analysant les modèles explicatifs locaux du malheur qui s'abat sur la population, aidant les équipes médicales à adapter leurs actions aux cultures locales (18). C’est essentiel par exemple pour les rites funéraires qui se sont avérés être un moment clé de la transmission du virus Ebola lors de l’épidémie récente d’Afrique de l’ouest (19).

L'objectif principal est la rupture des chaînes de transmission. L'équipe chargée de la surveillance épidémiologique organise la recherche active des cas et évalue chaque nouveau cas détecté qui sera éventuellement isolé s'il répond à la définition adoptée.

Tous les sujets ayant été en contact avec des malades sont suivis pour la durée de la période d'incubation. Si les signes de la maladie apparaissent, ils sont à leur tour isolés.

Des travaux porteront sur l’utilisation éventuelle de médicaments antibactériens (peste pulmonaire) ou antiviraux afin de casser la chaîne de transmission. Chaque fois que le mode de contamination de cas index peut être identifié par enquête épidémiologique, des équipes de spécialistes en écologie sont envoyées afin d'identifier les réservoirs naturels du pathogène (éventuellement animal) et d'éventuels vecteurs (contrôle des flambées futures).

A ce stade, il existe rarement un traitement autre que symptomatique, ou un vaccin. Il s’agit donc d’une approche lourde et exigeante qui a fini par faire ses preuves lors de la récente épidémie d’infection par le virus Ebola, même si elle a ses limites et si son évaluation est difficile. Ces épisodes d’émergences récentes ont aussi été l’occasion de l’évaluation de nouvelles approches ou d’approches revisitées, telles l’utilisation de drogues antivirales, seules ou en combinaison (20).

Ils ont mis en évidence de nombreux sujets éthiques : éthique des études et essais cliniques sur des populations fragilisées en situation d’urgence, équité vis-à-vis des médecins et scientifiques nationaux lors d’interventions internationales.

L’épidémie d’infection par le virus Ebola en Afrique de l’Ouest et la récente épidémie d’infection à virus Zika au Brésil ont reposé de manière aiguë, après le SIDA et d’autres infections émergentes, le problème de la place de la vaccination dans le contrôle global d’une épidémie ou d’une pandémie. Si l’on observe les grandes émergences récentes, aucune n’a été contrôlée par un vaccin. Même dans le cas de la pandémie de grippe H1N1 de 2009, le rôle réel du vaccin - très rapidement développé - dans la régression de la pandémie est difficile à cerner. Peut-on viser à l’élimination d’une maladie transmissible sans un vaccin efficace ? Le paradigme "émergent" pour le contrôle des maladies infectieuses émergentes doit prendre en compte la nécessité de faire l’impasse – au moins au début – sur ce vaccin. Il implique, comme déjà vu, la combinaison d’un diagnostic précoce par des outils adaptés et robustes au chevet du patient (POC), la modélisation des étapes précoces de l’épidémie, la mise en place rapide de mesures de base de santé publique, en particulier un isolement raisonné et efficace et dans certains cas des traitements - même moyennement efficaces pouvant diminuer la charge virale, donc le niveau de transmission et casser ainsi la chaîne épidémique.

La disponibilité rapide d’un vaccin permettrait alors de prendre en compte la prévention de la transition pandémique de l’épidémie ou sa réémergence ultérieure.

La combinaison de l’identification rapide de sujets convalescents voire naturellement résistants combinée à une approche immunologique récente visant à immortaliser les lymphocytes B mémoire de ces patients, les immortaliser et identifier ceux produisant les anticorps les plus puissamment neutralisants ouvre la possibilité de développer en urgence une sérothérapie combinant plusieurs de ces anticorps et parallèlement d’identifier les antigènes/épitopes les plus efficacement protecteurs, accélérant ainsi le développement d’un vaccin (21). Cette approche est très prometteuse dans un nombre croissant de situations incluant la recherche d’un vaccin cross-sérotypique pour le virus de la grippe, les virus Zika, CMV, rabique, Ebola et MERS.

Conclusion

Nous avons décrit un paysage changeant des maladies infectieuses marqué par la conjonction du risque de retour des maladies du « monde d’hier », du fait de l’extension de l’antibiorésistance et de la défiance vaccinale et la confirmation d’un régime soutenu d’émergences et de leur extension rapide et pandémique par l’explosion des échanges internationaux. Ce tableau inquiétant que n’aurait pas renié Charles Nicolle nécessite un effort de recherche sans précédent en épidémiologie, prévention et thérapeutique et nous avons évoqué les nouveaux paradigmes qui se profilent dans ces domaines qui doivent sans faute incorporer d’autres dimensions comme les sciences de l’information, l’anthropologie, l’écologie et la climatologie. La science multidisciplinaire qui se profile nécessite le renforcement de structures multidisciplinaires, principalement académiques dédiées à la « santé globale ».
Pierre Joly, docteur en pharmacie, fut président de la Fondation pour la recherche médicale, puis président de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine. Il est l’auteur de plusieurs publications dont Les Médicaments du futur, Odile Jacob (2009).
Les droits d’auteurs du livre « La Recherche Médicale, une passion française » seront reversés à la Fondation pour la Recherche Médicale.
Le livre sort le 3 octobre 2019.
Pour le commander (18€) : rendez-vous sur lisez.com ou sur chez tous les distributeurs culturels (FNAC, Cultura, etc.)

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