Lucienne Chatenoud,
Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, INSERM U1151,
CNRS UMR 8253 Institut Necker-Enfants Malades,
Hôpital Necker-Enfants Malades 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France

Introduction

L'immunologie est une discipline dont le privilège est d'être située à l'interface de la recherche fondamentale et des applications médicales. De nombreux exemples en témoignent tels que la vaccination, les greffes d'organes ou encore, le développement des anticorps monoclonaux thérapeutiques.

Le fonctionnement du système immunitaire est assez bien connu, comme l'atteste l'attribution à la discipline de plus de dix prix Nobel depuis le début du siècle dernier. De nombreuses questions sont, cependant, encore mal résolues. L'émergence de notions plus précises sur l'immunité innée, connue depuis longtemps mais dont on appréciait mal l’importance, en est un exemple. C'est seulement au cours de ces dernières années que l'on en a disséqué les mécanismes de manière plus précise.

On pourrait évoquer de nombreux domaines de la recherche fondamentale en immunologie qui sont aujourd'hui très actifs et plein de promesses. De multiples équipes s'y consacrent dans le monde ; la France y occupe une bonne position même si, dans certains cas, il manque un peu de masse critique.

J'ai fait le choix de présenter ici, dans un texte relativement court, les progrès que l’on peut attendre de l’Immunologie pour la recherche médicale, qui est la vocation première de la Fondation pour la Recherche Médicale.

La génétique des maladies immunitaires

Les maladies immunitaires sont nombreuses et diverses. Les plus fréquentes sont les maladies auto-immunes et les maladies allergiques. Il s'agit de maladies complexes qui résultent d'une interaction malheureuse entre l'inné et l'acquis c'est-à-dire entre des gènes de prédisposition et l'environnement. Il est important de préciser qu’il s’agit tant pour l’auto-immunité que pour l’allergie de maladies polygéniques posant une problématique très différente de celle des maladies monogéniques mendéliennes qui concernent la grande majorité des maladies rares.

L'approche génétique des maladies polygéniques a été abordée depuis plusieurs dizaines d'années avec, il faut le reconnaître, un succès limité. Certes, pour ce qui concerne les pathologies auto-immunes ou du moins certaines d'entre elles, le rôle des gènes du complexe majeur d’histocompatibilité ou HLA a été bien démontré. L’accès aux techniques modernes de la génomique avait fait naître il y a une vingtaine d'années un espoir considérable. On pensa alors que l'étude des associations (GWAS pour « Genome Wide Association Studies) qui pouvaient exister entre les balises (SNIPs pour « single nucleotide polymorphisms ») présentes sur le génome et les diverses maladies auto-immunes permettraient d'identifier les gènes de prédisposition at aboutir donc à la possibilité d’un dépistage génétique des individus à risque.

Malgré les efforts considérables développés dans ce sens, portant sur des dizaines de milliers de malades, il faut bien admettre aujourd'hui que cette approche s'est révélée relativement décevante. Certes de très nombreuses régions de prédispositions, incluant des gènes potentiellement intéressants, ont été identifiées. En fait leur nombre est tellement élevé qu'il n'est pas compatible avec l'hérédité de ces maladies. On en compte plus de 200 dans la sclérose en plaques, plus de 150 dans les maladies inflammatoires de l'intestin et plus de 100 dans le diabète insulinodépendant. Dans la grande majorité des cas, il s’agit encore une fois de régions génétiques au sein desquelles les gènes n'ont pas été identifiés et, en tout état de cause, le risque relatif ou odds ratio (OR) associé à ces régions de susceptibilité reste faible entre 1,2 et 1,5. De toute évidence, il va falloir trouver d'autres approches pour progresser. L'hypothèse la plus plausible est que nombre de ces maladies, auto-immunes ou allergiques, sont liées à la présence de variants génétiques rares qui ne sont pas identifiés par l’approche globale portant sur de très grandes cohortes de malades.

La recherche de ces variants, qui va supposer des explorations ciblant des familles plutôt que des cohortes, va poser d'énormes problèmes logistiques. Elle est pourtant essentielle. Heureusement, elle sera aidée par les progrès très rapides de la technologie génomique. Le même commentaire peut être fait pour les modifications de l'architecture du génome qui peuvent contribuer à la prédisposition à la maladie. D'autres concepts doivent être pris en compte tels que l’épistasie, c'est-à-dire l'influence sur un phénotype donné de l’action d’une combinaison de gènes ou encore, l'épigénétique c'est-à-dire la modification de l'expression des gènes suite à des changements biochimiques de l'ADN (acétylation, méthylation des histones) sans modification de la séquence de l'ADN.

Ces recherches ont un intérêt majeur. On estime que l’on connaît aujourd’hui seulement 20 à 30 % des facteurs qui déterminent l'héritabilité des maladies auto-immunes et allergiques. Seul le jour où ce fossé des 70 % restants sera en grande partie comblé, on peut espérer mieux comprendre la pathogénie de ces maladies ce qui conduira à affiner leur diagnostic, permettre leur dépistage et, surtout, trouver de nouveaux traitements.
Le rôle de l'environnement doit être également pris en compte. On sait qu'il est important, comme en témoigne le taux très élevé de discordance de la survenue des maladies auto-immunes dans des couples de vrais jumeaux. Encore faut-il remarquer, que cette discordance pourrait être expliquée, en partie, par des mutations survenant après la séparation des deux œufs. Il ne faut pas oublier, en effet, que certes l'environnement n'est pas tout à fait le même entre jumeaux monozygotes mais il est néanmoins très semblable, du moins pendant l'enfance. L'environnement peut agir en déclenchant la maladie. C'est évidemment le cas dans les allergies avec les allergènes. Mais même dans ce cas les allergènes ne résument pas tout puisque certains sujets appartenant à la même famille sont plus ou moins allergiques à différents allergènes. Le problème est encore plus difficile dans les maladies auto-immunes où, à quelques exceptions près, on ne connaît pas les facteurs déclenchant ces maladies. Le rôle d'agent infectieux, notamment de virus, a été évoqué depuis longtemps mais avec un succès très limité. C'est un sujet de recherche considérable mais très difficile. Il ne peut passer que par l'étude de grandes cohortes de sujets suivis depuis la première enfance.

De façon inattendue, l'environnement semble pouvoir également présenter un effet protecteur. On s’est en effet aperçu qu'il y avait une association très forte entre la diminution de la fréquence des maladies infectieuses et l'augmentation de celle des maladies allergiques et auto-immunes. Des arguments robustes suggèrent une relation de causalité entre ces deux observations, c'est la théorie hygiéniste. En quelque sorte, les infections protègent contre les maladies auto-immunes et allergiques. La diminution de leur fréquence dans les pays industrialisés au cours des quatre dernières décennies pourrait expliquer l'augmentation de celle des maladies auto-immunes et allergiques. Des travaux très importants sont déjà consacrés et devront l'être encore plus dans l'avenir aux mécanismes au travers desquels les infections protègent contre les maladies immunitaires en question. On peut espérer dériver de ces recherches des traitements préventifs qui pourraient être administrés avant la survenue de ces maladies.

Les maladies auto-immunes et allergiques ne résument pas l'ensemble de l’immunopathologie. Le cas des déficits immunitaires, qu'ils soient héréditaires ou acquis, dépend à l’évidence de facteurs génétiques et environnementaux. La situation est néanmoins assez différente. Le rôle des gènes ayant une action directe sous la forme d'une maladie monogénique et plus souvent en cause même si, l’on commence à entrevoir que les remarques qui viennent d'être faites pour les maladies polygéniques auto-immunes et allergiques s'appliquent également, pour une large part, aux déficits immunitaires dont l’expression clinique (le phénotype) peut varier en fonction de variants rares associés à la mutation génétique de base.

Les grandes promesses de l’immunothérapie

De nombreuses maladies sont dues à un dérèglement du système immunitaire, notamment les maladies allergiques et auto-immunes déjà citées sont dues à des réponses immunitaires anormalement élevées contre des allergènes et des auto-antigènes. D'autres situations pathologiques, notamment les déficits immunitaires et certains cancers, semblent liées à l'insuffisance des réponses immunitaires dirigées contre les agents infectieux ou, de façon plus contestée, contre certains antigènes tumoraux. Des avancées importantes ont été réalisées dans le traitement de ces différentes maladies par des approches immunologiques. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler des progrès remarquables apportés par les vaccinations, même s’il n'existe pas encore de vaccins contre de trop nombreuses maladies infectieuses, ou la disparition de la maladie hémolytique du nouveau-né grâce à l'administration d'anticorps anti-Rhésus à la mère.

Le traitement des maladies auto-immunes inspiré des traitements préventifs du rejet des greffes d'organes, s'est appuyé pendant longtemps sur l'utilisation de médicaments anti-inflammatoires ou immunosuppresseurs tels que les corticoïdes, la ciclosporine, le cyclophospamide parmi de nombreux autres. L'efficacité de ces produits est avérée. Elle a transformé le pronostic de nombreuses de ces maladies. Elle est, malheureusement, associée à des effets secondaires parfois graves liés à l'effet toxique de ces médicaments ou au développement malheureux suite à leur administration chronique d’un état dit de « sur-immunosuppression » caractérisé par l’apparition de maladies infectieuses voire même de tumeurs souvent secondaires à des infections virales.

Une approche complètement nouvelle du traitement de ces maladies immunitaires a été apportée par l'utilisation de produits permettant d'induire une tolérance spécifique des antigènes contre lesquels sont dirigées les réponses immunitaires indésirables. Ce concept essentiel de la tolérance est fondé sur l'observation qu'il est possible par différentes approches de « paralyser » le système immunitaire contre certains antigènes tout en conservant intacte sa capacité à réagir vis-à-vis des antigènes notamment microbiens auxquels notre organisme est exposé.

Les résultats importants obtenus dans le traitement des malades allergiques avec la désensibilisation vis-à-vis de certains allergènes constituent un exemple de restauration de la tolérance immunitaire chez ces patients. Cela a été rendu possible par une amélioration des connaissances d’immunologie fondamentale concernant en particulier les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent la présentation des allergènes aux lymphocytes. Du point de vue pratique la voie et les modalités d’administration des allergènes sont des éléments clés pour une désensibilisation réussie. Ainsi, de nombreux protocoles sont en cours pour améliorer les résultats de la désensibilisation vis-à-vis de différents allergènes via leur administration associée à de nouveaux adjuvants ciblant certains récepteurs de l’immunité innée.

Des résultats remarquables, montrant la possibilité d’induire une tolérance immunitaire, ont été obtenus dans le domaine expérimental dans les greffes d'organes et également dans les maladies auto-immunes. Il s'est révélé, cependant, difficile d'étendre l’utilisation de ces traitements à la clinique. Il s'agit, bien sûr, d'un enjeu considérable. Des résultats récents obtenus dans différentes pathologies indiquent que cet espoir pourrait se concrétiser dans les années à venir. S'agissant des transplantations d'organes et des maladies auto-immunes, il est en effet apparu que l'administration d'anticorps monoclonaux dirigés contre certains récepteurs des lymphocytes T pouvait induire une tolérance spécifique soit des antigènes de transplantation pour les greffes, soit des auto-antigènes pour les maladies auto-immunes. D'autres méthodes intéressantes sont également en cours d'étude qui concernent par exemple une thérapie cellulaire utilisant des lymphocytes T régulateurs dont on reconnaît aujourd’hui le rôle central dans la tolérance immunitaire. Si ces espoirs se confirmaient, ce serait une véritable révolution dans l'approche de ces situations cliniques de grande importance.

S'agissant de l'immunothérapie des cancers, il faut bien admettre que la situation était décevante jusqu'à il y a quelques années. La vaccination directe contre les antigènes tumoraux se révélait en effet globalement inefficace. Le seul résultat convaincant était celui lié au traitement préventif des virus à l'origine de certains cancers chez des sujets immunodéprimés.

L'observation faite il y a quelques années que le blocage de certains mécanismes régulateurs « négatifs » pouvait stimuler des mécanismes effecteurs et redonner ainsi une efficacité aux réponses immunitaires T antitumorales développées par les malades atteints de cancer a ouvert d’immenses perspectives. Cette stimulation de l'immunité des malades atteints de tumeurs a été obtenue grâce à des anticorps monoclonaux dirigés contre certains récepteurs des lymphocytes T (CTLA4, PD-1). Elle a déjà fourni des résultats remarquables dans certains cancers, les premiers étant les mélanomes métastatiques. L’évolution actuelle laisse penser que cette stratégie pourra s'étendre à beaucoup d'autres types de tumeurs. Elle a en effet l'avantage d'avoir un mécanisme d'action générale, non liées à la nature du cancer, puisqu’elle concerne une stimulation ciblée de certaines fonctions lymphocytaires. Il semble important pour terminer de citer le regain d’intérêt pour une utilisation des antigènes tumoraux qui pourrait même être synergique en efficacité avec l’utilisation des anticorps anti-CTLA4 ou PD-1. Contrairement à la vaccination utilisée dans le passé basée sur l’utilisation de cellules dendritiques et de peptides d’antigènes tumoraux, les nouvelles stratégies envisagent l’administration de l’antigène tumoral par voie muqueuse en présence d’adjuvants ad hoc qui stimulent les réponses antitumorales.

Même si ce n’était pas notre propos principal, juste un mot sur les déficits immunitaires héréditaires où des progrès majeurs, vraies preuves de concept, avaient été obtenus avec la thérapie génique. L'émergence récente de la technique CRISPR-Cas9 qui permet une « chirurgie » ciblée du génome ouvre de formidables horizons. Il faudra bien évidemment s’atteler à résoudre les éventuels problèmes techniques, afin d’éviter tout effet de modification annexe non voulue du génome, et éthiques associés à la manipulation directe d’embryons humains ou de gamètes. Une fois ces problèmes cernés de manière adéquate cette nouvelle technologie devrait apporter le traitement radical qui s’impose à ces maladies certes rares mais de grande gravité.

Conclusion

Au-delà des deux grands champs qui viennent d'être évoqués, l'immunologie pourrait apporter de nombreuses contributions dans des situations médicales très diverses. Tout laisse penser que de nombreuses maladies jusque-là inexpliquées pourraient relever de mécanismes immunitaires.
Des résultats préliminaires importants ont déjà été obtenus dans des maladies où le profil inflammatoire implique de manière importante le système immunitaire, l’athérosclérose pour n’en citer qu’une. Ce point est essentiel car il ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles pour des affections pour lesquelles il n'existe aujourd'hui que des traitements symptomatiques.

On peut aussi espérer, avec le développement de la médecine personnalisée, encore appelée, métier de précision, d'adapter les traitements à chaque état pathologique décrit plus haut. En particulier, des maladies auto-immunes très nombreuses et souvent regroupées de façon pragmatique autour de syndromes, comme le lupus érythémateux disséminé, correspondent vraisemblablement à des états pathologiques très différents d'un malade à l'autre. Les progrès futurs, que nous espérons rapides en matière de génétique notamment, devraient conduire à une adaptation personnalisée du diagnostic et de la prise en charge du traitement de ces malades.

Pierre Joly, docteur en pharmacie, fut président de la Fondation pour la recherche médicale, puis président de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine. Il est l’auteur de plusieurs publications dont Les Médicaments du futur, Odile Jacob (2009).
Les droits d’auteurs du livre « La Recherche Médicale, une passion française » seront reversés à la Fondation pour la Recherche Médicale.
Le livre sort le 3 octobre 2019.
Pour le commander (18€) : rendez-vous sur lisez.com ou sur chez tous les distributeurs culturels (FNAC, Cultura, etc.)

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