La recherche vétérinaire a commencé d'exister avec la création des Ecoles royales vétérinaires, en 1761, par Claude Bourgelat, avocat et Ecuyer du Roi Louis XV. Très modeste à ses origines, puisque la lutte contre les grands fléaux sanitaires qui frappaient le bétail, tels que la Peste Bovine, était alors confiée à un médecin, Félix Vicq d'Azyr , membre de la Société royale de Médecine, elle devait progressivement connaître un développement propre.
C'est surtout avec l'ère pasteurienne, dans le dernier tiers du XIX éme siècle, que des vétérinaires vont réellement entrer dans une véritable démarche scientifique et, il faut l'écrire, s'y illustrer. Plus réceptifs que leurs collègues du corps médical aux théories novatrices et quelque peu révolutionnaires de Louis Pasteur, de grands noms de l'art vétérinaire vont contribuer à l'avancement de la connaissance et de ses applications. Il faut rappeler ici, outre Henri Bouley, précédemment cité et qui fut un fervent supporteur des théories de Pasteur, Emmanuel Leclainche, Professeur à l'Ecole d'Alfort et bactériologiste, Gaston Ramon, "père" des anatoxines, Edmond Nocard ou encore Camille Guérin, associé au médecin Albert Calmette dans la découverte du BCG. Sans oublier, dans le domaine de la Physiologie, Auguste Chauveau, Professeur à l'Ecole vétérinaire de Lyon, et ses travaux sur la circulation sanguine, ou encore Jean Cuillé et Paul Louis Chelle, Professeurs à l'Ecole vétérinaire de Toulouse, qui décrivirent en 1936, un "agent non conventionnel" qui sera dénommé plus tard Prion, dans le système nerveux de moutons atteints de la Tremblante, première encéphalopathie spongiforme transmissible (ESST) homologue de la maladie de "la vache folle".
Au fur et à mesure que se développaient la médecine vétérinaire et les notions de santé animale et que se révélaient des relations, souvent étroites, entre cette dernière et la santé de l'Homme, la recherche vétérinaire s'est amplifiée et s'est diversifiée. Elle couvre désormais les domaines des productions animales, de la nutrition, de la reproduction, des aptitudes zootechniques, de la génétique. Bien entendu, elle s'efforce d'améliorer la lutte contre les maladies infectieuses et parasitaires des animaux, notamment par l'identification des agents pathogènes, la mise au point de mesures préventives comme les vaccins permettant l'instauration d'une prophylaxie médicale. A ce titre, alors qu'actuellement une maladie virale du Porc, la Peste porcine africaine, ravage les élevages dans certains pays en raison de l'absence du vaccin, il faut rappeler qu'à l'inverse, la Peste bovine - celle là même qui avait en grande partie motivé la création des Ecoles vétérinaires - a été éradiquée de l'ensemble de la planète par la mise en oeuvre de mesures prophylactiques spécifiques.
Une des particularités de la recherche vétérinaire est qu'elle doit prendre en compte non seulement les maladies des espèces animales domestiques mais également celles de la faune sauvage, susceptibles de s'étendre aux espèces domestiques mais aussi à l'Homme. Ce fut le cas, avec un succès total en France, de l'éradication d'une maladie redoutable, la rage, responsable aujourd'hui encore, chaque année, de plusieurs dizaines de milliers de décès d'êtres humains dans le monde. Infectant les populations de renards, introduite dans les années 80 dans l'Est de notre pays, cette rage dite sylvatique a été complètement éradiquée grâce à la dispersion dans les territoires infectés d'un vaccin vivant, issu de la recherche pharmaceutique, obtenu par recombinaison d'un virus aviaire, inoffensif pour les Mammifères, avec un antigène rabique. C'est encore le cas aujourd'hui, avec la persistance en Europe notamment, de foyers de Tuberculose bovine entretenus par la proximité des troupeaux avec des animaux sauvages, sangliers et blaireaux, porteurs du bacille.
Bien entendu, qu'elles soient de production ou de compagnie, toutes nos espèces domestiques bénéficient, selon des modalités parfois spécifiques, des progrès de cette recherche. C'est ainsi que, très naturellement, nos animaux familiers, chiens, chats et aujourd'hui, "nouveaux animaux de compagnie" (furets, hérissons, oiseaux de volière, reptiles, ...) bénéficient d' avancées souvent inspirées de la recherche médicale (imagerie, chirurgie, thérapeutique anticancéreuse, traitement des troubles du comportement, ...). C'est ainsi que le recours aux cellules souches est devenu une pratique courante en médecine vétérinaire. Etablie sur des travaux portant sur des cellules souches autologues originaires de la moelle osseuse ou du tissu adipeux du sujet traité, ou encore de banques de cellules allogéniques (de la même espèce animale que celle du malade), elles sont désormais appliquées au traitement de l'arthrose chez les chiens, à celui des tendinites chez les chevaux de sport ou encore des gingivites du chat.
Il faut noter d'ailleurs qu' en contre partie, les progrès enregistrés par cette médecine vétérinaire individuelle avancée, sont susceptibles de révéler des modèles animaux de maladie de l'Homme, spontanés et non expérimentaux, utiles aux progrès de la recherche médicale. Il en est ainsi de certains cancers du Chien (lymphomes, mélanomes, osteosarcomes, ...) utiles à l'innovation thérapeutique en cancérologie humaine. C'est encore le cas des trop nombreux animaux de compagnie rendus obèses par suralimentation et insuffisance d'exercice physique et capables de fournir d'intéressantes observations du domaine des maladies métaboliques liées au surpoids.
Bien entendu, depuis quasiment la création de l'art vétérinaire, on s'efforce d'améliorer les méthodes préventives en matière de sécurité sanitaire des aliments. Méthodes et procédés microbiologiques, sérologiques, immunochimiques sont mis au point, adaptés au service de la détection toujours plus sensible et spécifique d'agents infectieux, parasitaires ou chimiques voire biologiques, dans les denrées alimentaires destinées à l'homme ou aux animaux.
Plus récemment, avec le développement de la notion de conscience animale, un nouveau chapitre de la recherche vétérinaire s'est ouvert. Avec le recours d'éthologues, voire le support de l'imagerie fonctionnelle cérébrale, ces travaux s'efforcent d'identifier et d'évaluer le rationnel de certains comportements des animaux, notamment par l'évaluation des capacités cognitives de certaines espèces. Ils s'attachent à mieux définir cette notion qui tend à prendre une importance considérable, le bien-être animal. Cette notion dont les contours sont encore un peu flous, fait, en particulier, l'objet de recherches actives visant à concilier, sans anthropomorphisme, les contraintes de certaines productions animales et la préservation du bien être des animaux ... et des éleveurs.
C'est dans le domaine de la génétique et de l'édition du génome que les orientations de la recherche vétérinaire sont les plus novatrices. L'accès au génome de plusieurs espèces animales permet d'identifier des gènes de résistance à certaines infections. C'est le cas dans l'espèce bovine avec la possibilité offerte de sélectionner des souches de vaches qui développent une réponse immunitaire efficace contre les agents bactériens courants des mammites et sont, de ce fait, moins sujettes à ces affections. Mais c'est le génie génétique avec ce que l'on dénomme l'ingénierie du génome qui ouvre les perspectives les plus novatrices. C'est ainsi que s'agissant de la Peste porcine africaine qui s'avère, comme cela a été dit, un véritable fléau pour les élevages porcins de certains pays en raison de l'absence de traitement et de vaccin disponible, un gène porcin (Rel-A), codant un facteur de transcription viral (p65), pourrait être une des cibles permettant l'obtention de lignées de porcs résistantes au virus. Des résultats ont été obtenus par transfection de cellules porcines ; les recherches se poursuivent activement au niveau international.
Dans un tout autre domaine puisqu'il s'agit de possibles greffes d'organes de Porcs à des malades, on sait depuis longtemps que les porcs sont porteurs d'un Rétrovirus dit endogène, le PERV ; non pathogène pour cette espèce, il constitue un obstacle sanitaire à l'utilisation d'organes de Porc pour la réalisation d'hétérogreffes à l'Homme. La technique d’ingénierie génétique CRISPR-Cas9 a récemment permis l’inactivation de gènes de PERV essentiels à la sortie du virus des cellules épithéliales porcines. Des porcelets porteurs de ces délétions sont nés, à partir desquels une lignée sera créée. Bien entendu, la réaction de rejet de greffons hétérologues reste encore à maîtriser avant l’utilisation de tissus (Ilôts de Langerhans producteur d’insuline) ou d'organes (cœur, rein) porcins au bénéfice de l'Homme. Il n'en est pas moins avéré que l'utilisation de techniques d'édition du génome a permis de lever l'obstacle infectieux potentiel.
Le dialogue permanant que l'on constate depuis ses origines entre la médecine vétérinaire et la médecine de l'Homme, a été officiellement défini depuis 2008, avec l'émergence du concept "Une seule Santé" (One Health). Ce concept intègre effectivement les relations entre la santé de l'Homme, la santé des animaux et les conditions environnementales. Il souligne l'importance d'une démarche conjointe entre professionnels de ces différentes composantes visant à contrôler les risques sanitaires, notamment dans le domaine des maladies transmissibles émergentes ou reémergentes d'origine animale, les zoonoses, ou encore dans les traitements appliqués conjointement à l'Homme et aux animaux. C'est le cas des antibiotiques dont on connaît le risque galopant d'inefficacité par ce que l'on nomme l'antibiorésistance.
Quels sont les acteurs de la recherche vétérinaire ? Les Ecoles vétérinaires, à travers l'activité de leurs enseignants-chercheurs, en sont les sites majeurs. Leurs laboratoires, souvent associés à d'autres institutions comme l'Institut national de la Recherche agronomique (INRA), l'Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (INSERM), le Centre national de la Recherche scientifique (CNRS) ou encore l'Agence nationale de Sécurité sanitaire de l'Alimentation, du Travail et de l'Environnement (ANSES), développent des travaux de recherche dans la plupart des domaines précédemment évoqués. Elles le font parfois en collaboration contractuelle avec certains de leurs homologues des Centres hospitalo-universitaires, confortant ainsi le concept "Une Seule Santé", comme c'est le cas du laboratoire de Parasitologie commun à l'Ecole vétérinaire d'Alfort et au CHU Henri Mondor de Créteil. Chacune des institutions évoquées, notamment l'INRA et l'ANSES, conduisent dans leurs propres laboratoires, des recherches vétérinaires.
Bien entendu, la recherche pharmaceutique privée reste un bastion puissant de la recherche vétérinaire dans les domaines de la thérapeutique et de la prévention notamment. Il en va de même de l'industrie de l'alimentation animale dans celui de la nutrition.
Enfin, bien que ce ne soit pas un centre de recherches, on doit citer l'Office international des Epizooties (OIE) rebaptisé Organisation mondiale de la Santé animale. Créé à Paris en 1920 par Emmanuel Leclainche, il a pour mission de diffuser à l'usage des pays du Monde entier et sous leur contrôle, les règlements de bonne pratique en matière de santé animale et ce, ici encore, en relation avec la santé de l'Homme.
Pour conclure, alors que se prépare la célébration du bicentenaire de l'Académie nationale de Médecine, il paraît intéressant de rappeler que la notion d'un art vétérinaire au service de la santé animale et dont les progrès s'intègrent à une démarche de santé publique, n'est pas nouvelle. Elle figure clairement dans l'ordonnance de 1820 créant l'Académie royale de Médecine qui stipule : "Cette Académie sera spécialement instituée pour répondre aux demandes du gouvernement sur tout ce qui intéresse la santé publique et, principalement, sur les épidémies, les maladies particulières à certains pays, les épizooties, ..." .
Et cette même ordonnance prévoyait l'accueil au sein de cette Académie, de médecins, de chirurgiens, de pharmaciens ... et de vétérinaires !
Notre recherche vétérinaire contemporaine poursuit sur cette voie.