Alain Fischer
Collège de France
Institut Imagine
AP-HP, Hôpital Necker Enfants malades, Paris

La génétique est la science de l'hérédité. Mais le terme apparu en 1905 a vu son contenu s'enrichir avec le progrès des connaissances. Le concept de gène comme unité fonctionnelle héréditaire a rapidement émergé puis ceux de génotype (caractéristique héréditaire) et de phénotype (conséquences du génotype) et plus récemment de génomique - la science de l'ensemble du génome, des gènes et des éléments qui les régulent.

Que de progrès depuis Mendel (1866) et la transmission de caractères héréditaires dont les lois ont été oubliées puis redécouvertes au début du XXe siècle. Le lien entre gène et fonction date de 1941 (Beadle et Tatum) et bien sûr la structure du support moléculaire de l'hérédité de l'ADN de 1953 (Watson et Crick). Depuis, le code génétique a été décrypté, le principe de la régulation des expressions des gènes a été décrit en 1963 (Jacob et Monod).

Dès les années 1970, la technologie de la biologie moléculaire permet de décrire finement les gènes, les mécanismes de leur transcription en ARN messager pour aboutir en 2001 à la connaissance de la séquence du génome humain (à côté d'autres espèces). C'est ainsi que fut observé avec surprise que notre génome ne contient qu'environ 22 000 gènes (2 % du génome) et davantage d'éléments régulateurs appelés "promoteurs et enhancer".

Dès les années 1960, la première description d'une mutation de l'ADN fut identifiée comme responsable de la drépanocytose ("anémie falciforme"), par mutation du gène codant la chaîne ? de l'hémoglobine. Une révolution aussi spectaculaire que celle de l'informatique a permis d'analyser rapidement et à un prix devenu accessible la séquence du génome humain et d'en identifier des anomalies héréditaires ou acquises. Ces découvertes ont un impact décisif en médecine, ce que nous allons examiner en considérant 4 domaines : les maladies héréditaires monogéniques, les mutations somatiques associées aux cancers, la pharmaco-génétique et l'hérédité multifactorielle, ainsi que la génétique de l'évolution humaine.

Les maladies héréditaires monogéniques

On démontre aujourd'hui environ 8 000 maladies héréditaires causées par les mutations d'un seul gène. Elles concernent tous les domaines de la médecine, du cerveau (retards intellectuels) au muscle (myopathies) ou au système immunitaire (déficits immunitaires). Ces maladies sont en règle générale rares (affectant moins de 1 personne sur 2 000) mais globalement elles touchent environ 3 % de la population. Compte tenu de leur fréquente sévérité (pronostic vital, handicap moteur, cognitif, esthétique…) et de leur caractère permanent tout au long de la vie, leur impact en santé publique – longtemps sous-estimé – est majeur. Les outils de la génétique permettent aujourd'hui d'en diagnostiquer plus de 3 000 grâce à l'identification de la mutation responsable. Les avancées technologiques dans le séquençage du génome ont été un considérable facteur de gain de temps et d'argent.

On peut aujourd'hui séquencer l'ensemble des gènes aujourd'hui connus responsables par exemple d'un déficit immunitaire pour identifier la cause d'une telle maladie ou séquencer l'ensemble des régions codantes (les exons) des 22 000 gènes : l'exome (où sont localisées la plupart des mutations connues) ou même envisager d'utiliser le séquençage du génome entier pour aboutir à un tel résultat. Ces techniques sont en cours de transfert de la recherche à la pratique clinique. Au-delà de nommer la cause d'une maladie héréditaire – une information rassurante pour les familles concernées -, connaître les mutations responsables d'une maladie grave permet d'orienter le conseil génétique, éviter les risques de récidive pour un couple à risque grâce au diagnostic prénatal ou préimplantatoire. Il est même possible depuis une petite dizaine d'années de dépister les anomalies chromosomiques graves d'un fœtus par examen précoce de l'ADN fœtal circulant dans le sang maternel et dans ces cas, de proposer une interruption de grossesse. Le diagnostic génétique permet dans certains cas de mieux établir le pronostic de la maladie car la mutation peut affecter de façon plus ou moins sévère l'expression et la fonction de la protéine. Cette analyse dite de corrélation génotype/phénotype – qui nécessite de solides bases de données sur les maladies concernées – peut ainsi orienter les décisions thérapeutiques. L'identification du gène responsable d'une maladie héréditaire représente l'information socle sur lequel se construisent les travaux de recherche qui s'efforcent de comprendre le mécanisme physiopathologique de la maladie. Ces travaux sont essentiels car ils sont indispensables à la mise au point de thérapeutiques curatrices.

Malgré les progrès des connaissances, trop peu de maladies héréditaires bénéficient à ce jour d'une thérapeutique. Néanmoins les avancées sont réelles. Citons en quelques-unes, substitution d'une protéine manquante obtenue par génie génétique dans le cas des hémophilies, de maladies de surcharge lysosomale, utilisation de médicaments stabilisants une protéine défectueuse qui permettent de traiter certaines formes de mucoviscidose, inhibition médicamenteuse des effets d'une mutation qui provoque un fonctionnement excessif : exemple de la neutralisation de la cytokine inflammatoire IL1 au cours de syndromes héréditaires auto-inflammatoires et enfin la thérapie génique : déficits immunitaires sévères, Amaurose de Leber, leucodystrophie métachromatique… Il est certain que les prochaines années verront émerger de nouvelles thérapeutiques de maladies héréditaires fondées sur la connaissance des mutations des gènes et de leurs conséquences délétères.

Pharmacogénétique

Les médicaments couramment employés comme les anticoagulants, les agents immunosuppresseurs, les antibiotiques ont une efficacité et une toxicité variables d'un patient à l'autre. En partie, ces variations – d'importance médicale majeure on le conçoit – sont d'origine génétique, notamment en rapport avec le métabolisme du médicament.

Dans certains cas, il est ainsi possible de moduler la dose de médicaments pour optimiser l'efficacité et réduire les risques de complications (ex. : hémorragie au cours d'un traitement par anticoagulant, toxicité des anticancéreux).

Cette nouvelle discipline, la pharmacogénétique est appelée à se développer au bénéfice des patients en permettant l'adaptation individuelle des traitements.

Les maladies somatiques du génome – les cancers

Nos cellules accumulent avec l'âge des mutations, inhérentes aux erreurs de retranscription de la séquence d'ADN lors de charge division cellulaire. Si beaucoup de ces "erreurs" sont sans conséquence ou même réparées par des systèmes biologiques "gardiens de notre ADN", certaines peuvent être délétères en provoquant un cancer. L'accumulation dans des cellules de mutation favorisant leur survie, leur multiplication est à la base du processus des cancers. C'est pourquoi de très gros efforts ont été menés depuis plus de 20 ans pour identifier ces mutations afin de mieux connaître, comprendre et traiter les cancers. C'est une tâche complexe car la plupart des cellules tumorales comportent de très nombreux remaniements du génome.

De plus, au cours de l'évolution d'un cancer (effet de traitements, métastases) le génome des cellules cancéreuses continue d'évoluer. Néanmoins, certaines mutations ont pu être démontrées comme causales et parfois expliquent le processus cancéreux. C'est le cas par exemple de la fusion aberrante de 2 gènes portés par 2 chromosomes différents : BCR et ABL dont la conséquence est d'induire la division anarchique de cellules aux cours de la leucémie myéloïde chronique.

C'est un résultat considérable car la compréhension des conséquences de l'expression de ce gène "aberrant" sur l'activation d'une enzyme dénommée tyrosine kinase a conduit à la mise au point d'un traitement médicamenteux efficace de cette leucémie.

On peut aussi dans une certaine mesure déterminer l'immunogénicité (sa capacité à être reconnue par le système immunitaire) d'une tumeur et ainsi prédire la probabilité de succès (donc l'indication) d'une immunothérapie. C'est le cas de la maladie de Hodgkin ou de certains cancers du poumon. La recherche de l'ADN tumoral circulant, donc sans acte invasif, peut permettre de diagnostiquer un cancer ou surveiller le risque de rechute. Les différentes approches sont prometteuses et contribuent aux avancées d'une médecine de précision des cancers.

Maladies à composante génétique, médecine prédictive ?

De très nombreuses recherches tendent à identifier des facteurs de risque héréditaire à des maladies communes. Dans quelques cas, comme les mutations des gènes de réparation de l'ADN BRCA1 et BRCA2, le risque de maladie est très élevé et une telle détection implique donc de fortes mesures de surveillance et même de précautions. Dans la plupart des cas cependant : maladies neurodégénératives, athérome, asthme, maladies auto-immunes ou inflammatoires, les facteurs de risque mis en évidence qui peuvent être nombreux (plusieurs centaines) sont d'un ordre de grandeur très faible et n'ont donc aucun impact sur la pratique médicale. Ces travaux peuvent contribuer à mieux comprendre les mécanismes de ces maladies mais sans retentissement médical à ce jour.

Génétique et évolution

L'étude systématique de la séquence du génome de diverses populations humaines et de celles d'hommes préhistoriques (Sapiens et "archaïques" comme Néandertal ou Denisova) est une source d'information considérable dans l'étude de l'histoire des hommes. En premier lieu ces travaux infirment de façon irrévocable le concept de race. Ils montrent que l'homme moderne est originaire d'Afrique par phases successives de migration et de colonisation de la terre au cours des 60 000 dernières années. Confronté à l'étude des modes de vie (agriculteur, chasseur-cueilleur, urbain…), des objets et des langues, il devient possible de retracer l'histoire de groupes humains : migration, croisement et évènements de sélection liés à l'environnement : exposition solaire, altitude, nutrition, résistance aux microbes. Par exemple, on a pu montrer que des mutations du gène de la lactase (qui permet la digestion du lactose du lait) qui favorisent la persistance de l'expression du gène à l'âge adulte, survenues dans différentes populations il y a environ 8 000-10 000 ans en Europe et au Moyen Orient ont été sélectionnées. En leur permettant de mieux digérer le lait, elles ont fait de cet aliment un élément nutritionnel essentiel dans le contexte du développement de l'élevage. Ces recherches n'ont pas qu'un intérêt théorique cognitif, elles mettent en évidence les éléments critiques déterminés par nos gènes ou des séquences régulatrices d'importance par exemple pour combattre des agents infectieux, mais aussi favoriser maladies auto-immunes et allergie !

Considérations éthiques

Au moins quatre types de notions éthiques doivent être examinés attentivement en relation avec les avancées de la génétique humaine : l'accessibilité des données génétiques personnelles, la découverte de données non intentionnellement recherchées, les conditions de dépistage génétique et enfin d'éventuelles interventions thérapeutiques sur le génome germinal. Les données issues de l'étude de notre génome nous sont personnelles. Elles sont partagées avec le médecin référent au bénéfice des patients. Mais ces données pourraient aussi intéresser les assureurs, les employeurs, les banquiers… tous désireux de connaître nos risques vitaux ou de handicap. Il est donc essentiel que ces données soient protégées afin d'éviter des risques de dérive. Un corollaire de cette restriction d'accès aux données génétiques est – dans le cadre de recherche impliquant plusieurs sujets voire un très grand nombre – la stricte anonymisation des données et de leur utilisation.

Les données non intentionnellement recherchées proviennent du séquençage d'exome (cf. plus haut) voire du génome entier au cours desquelles peuvent être trouvés des facteurs de risque de maladies qui ne font pas l'objet de l'analyse. Ces informations doivent-elles être communiquées à la personne concernée ? C'est une question délicate, car dans certains cas, cette information pourrait être médicalement utile (ex. mutation de BRCA1 et risque de cancer du sein). A contrario, on peut considérer que toute personne a le droit de savoir ou d'ignorer un tel risque. Ce point doit être discuté avant la réalisation de tout acte de génétique diagnostique avec la personne concernée. Le droit de ne pas savoir concerne aussi les proches à risque d'une personne atteinte de maladies héréditaires (ex. de la chorée de Huntington).

La connaissance des maladies génétiques peut ouvrir dans certains cas la possibilité de dépistage qui pose la question des limites éthiques de celui-ci : par exemple en Sardaigne où le risque de la ? thalassémie est élevé, on recourt à un dépistage systématique des porteurs asymptomatiques d'un allèle muté (sur 2) du gène de la chaîne ? de l'hémoglobine et qui sont à risque de 1/4 d'avoir un enfant malade si le conjoint porte également une mutation du même gène. Cette pratique a considérablement réduit la prévalence de cette maladie grave. La question se pose en particulier en cas d'union consanguine. Jusqu'où un tel dépistage peut-il être étendu ? Quelle fréquence de maladies héréditaires, quelle sévérité ? Par exemple, faut-il envisager en France le dépistage des hétérozygotes (porteurs asymptomatiques) de mutation du gène CFTR responsable de la mucoviscidose sachant que la fréquence de la maladie est de 1/5000 et donc le nombre des hétérozygotes de 1/35 ? Comme indiqué plus haut, il est aujourd'hui possible et accepté de dépister pendant la grossesse des anomalies chromosomiques graves par examen de l'ADN fœtal dans le sang maternel. Ce même ADN pourrait être examiné dans la recherche de mutations délétères de gènes et donc permettrait de recourir au dépistage de maladies héréditaires même rares. Au-delà du coût, est-ce envisageable, quelles limites poser ?

Enfin les progrès récents de l'ingénierie génomique permettront d'envisager de réparer ainsi des mutations responsables de maladies héréditaires. Appliqué chez un patient, ce serait une forme de thérapie génique ciblant des cellules somatiques, c’est-à-dire sans transmission à la génération suivante de la modification génétique induite, ce qui n'appelle pas de réflexion éthique particulière. Par contre, certains envisagent d'appliquer cette technique fondée sur l'utilisation de "ciseaux moléculaires de l'ADN" type CRISPR-Cas 9 à la correction de maladies génétiques graves chez l'embryon. Même si, en dépit de progrès récent, la technologie n'est pas (encore) opérationnelle, la question se pose et fait l'objet de nombreux débats dans la communauté scientifique et médicale et auprès de citoyens avertis de ces questions. L'enjeu est ici fort puisque toute modification du génome serait transmise aux générations suivantes. Peut-on prévoir tous les risques, peut-on suivre les personnes issues de cette thérapeutique sur plusieurs générations et comment ? Comment accepter une action sans consentement de personnes concernées… qui n'existent pas ? Voilà certaines des questions soulevées. Rappelons qu'à ce jour une telle approche est interdite en France ainsi qu'à l'étranger, que ce soit dans le but de thérapie d'une maladie héréditaire grave d'un embryon ou a fortiori dans un objectif de réduire un risque de maladie (Alzheimer…) ou d'améliorer des performances biologiques.

Les progrès de la génétique ouvrent des perspectives d'ampleur en pratique médicale diagnostique et parfois thérapeutique. Les avancées sont déjà perceptibles et d'autres viendront. Elles font de la génétique une discipline médicale à part entière qui doit être pratiquée après une formation adéquate. Les questions éthiques nouvelles que la génétique soulève impliquent une réflexion certes des professionnels de santé concernés, mais aussi de tous les citoyens, ce qui implique une information et une éducation adaptées de qualité. Il en va du fonctionnement démocratique de nos sociétés.

Pierre Joly, docteur en pharmacie, fut président de la Fondation pour la recherche médicale, puis président de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine. Il est l’auteur de plusieurs publications dont Les Médicaments du futur, Odile Jacob (2009).
Les droits d’auteurs du livre « La Recherche Médicale, une passion française » seront reversés à la Fondation pour la Recherche Médicale.
Le livre sort le 3 octobre 2019.
Pour le commander (18€) : rendez-vous sur lisez.com ou sur chez tous les distributeurs culturels (FNAC, Cultura, etc.)

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